Je vous souhaite une très belle année avec la réalisation de vos souhaits, une multitude de bons moments et une relation tranquille à la nourriture.
Récemment, j’ai écrit une newsletter sur l’influence des autres sur notre façon de manger, pas toujours positive et agréable. Pour autant, je constate bien souvent que la solitude n’est pas simple non plus à gérer côté alimentation.
Il y a bien sûr différents types de solitude. Elle peut être ponctuelle, temporaire, durable, en épisodes... On la ressent différemment selon son tempérament -c’est sans doute plus facile pour une personnes introvertie- et son histoire personnelle. Ainsi, une patiente qui n’avait jamais vécu seule avait ressenti très durement la solitude suite à une rupture. Une personne qui a ressenti précocément un manque affectif cherchera à le combler en se jetant dans la vie de couple. Il y a des célibataires heureuses. Mais la solitude est souvent un état non choisi : il est naturel de souhaiter la compagnie des autres, cela fait partie de notre nature. Vous pouvez souhaiter sincèrement vivre en couple, construire une famille, avoir des enfants et ressentir douloureusement le fait de ne pas encore y parvenir. Mais, au-delà, notre société valorise traditionnellement la famille comme la norme. Vous pouvez vous sentir mal à l’aise de ne pas vous conformer à ce standard. Tout cela pour dire que la solitude est souvent difficile à vivre.
Je n’ai pas l’intention ici de vous donner des remèdes à la solitude, le sujet est trop complexe, intime et personnel pour le régler simplement. Si vous êtes concernée, il s’agit peut-être de comprendre la situation pour pouvoir réfléchir de façon large aux moyens de vous relier aux autres.
Qu’on apprécie, qu’on craigne, qu’on subisse la solitude, elle a très souvent des conséquences alimentaires. Manger seule donne une grande liberté : on peut manger ce qu’on veut quand on veut, en respectant son propre rythme. On peut manger avec attention sans être dérangée. Mais j’observe surtout que la majorité des personnes qui me consultent ont des difficultés à cuisiner pour elles seules, pour diverses raisons. Je vais prendre des exemples pour en dresser un panorama non exhaustif. Et esquisser des pistes envisageables. Sans prétendre que cela soit facile à mettre en œuvre car de nombreux paramètres sont en jeu. Evidemment, ce sont des profils simplistes et, si vous êtes concernée, vous êtes probablement un mélange de plusieurs dimensions.
Juliette, jeune célibataire qui sort beaucoup
Juliette ne souffre pas particulièrement de la solitude (ou elle n’en a pas conscience) mais n’entend pas pour autant passer ses soirées chez elle, ce n’est pas de son âge ! Ceci-dit, elle entend bien manger et est pleine de bonnes intentions : elle achète des légumes le week-end en prévoyant de les cuisiner. Et puis, entre la flemme qui lui fait choisir la rapidité d’une assiette de pâtes et les sorties souvent improvisées avec les copines, ils finissent la semaine piteusement défraichis dans le bac à légumes. Avec la double culpabilité pour Juliette de gaspiller et “mal manger”.
Pistes : repérer dans son agenda les sorties déjà prévues pour ne pas faire trop de courses. Ne pas acheter trop de produits frais et seulement ce qu’elle est sûre d’utiliser. Eventuellement, faire des courses au jour le jour de produits rapides à préparer. Jongler avec les conserves, les produits du placard non périssables, …
Valérie, “workaholic” qui rentre très tard
Valérie travaille beaucoup et rentre tard chez elle, aussi parce que personne ne l’attend. Parfois même, si elle travaille vraiment tard, elle se fait livrer un plat au bureau, soulagée que cela lui évite de devoir préparer un repas. Et si elle rentre chez elle, elle est affamée et,vu l’heure tardive, n’a aucune envie de cuisiner. Elle va au plus rapide, soit passer chez le traiteur chinois et acheter en grande quantité, soit manger du pain et du fromage. Mais elle est fatiguée de ce rythme et pas satisfaite de cette alimentation.
Pistes : on étudiera déjà la possibilité de rentrer un peu plus tôt du boulot ! Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de famille qu’elle doit rogner sur son temps personnel qu’elle doit tout donner au travail... Ensuite, tester de prendre un encas dans l’après-midi pour être moins pressée de manger en rentrant. Et remplir son placard et son congélateur de plats prêts à l’emploi, plaisants et variés. Sans s’empêcher de passer parfois chez le traiteur en adaptant la quantité.
Diane, divorcée, fatiguée de préparer les repas
Diane a divorcé il y trois ans. Elle a deux enfants dont elle s’occupe une semaine sur deux. Elle a été mariée quinze ans et s’est toujours occupée des repas. Elle continue quand ses enfants sont là et c’est de plus en plus difficile de satisfaire des ados qui râlent pour tout. Elle est vraiment fatiguée de cette obligation. Alors, les semaines où elle est seule, elle savoure cette liberté : pas question de cuisiner, elle improvise et mange “n’importe quoi”. Mais elle s’en veut et culpabilise de ce comportement qu’elle juge anarchique.
Pistes : prévoir une plus grande quantité quand elle cuisine des plats pour la famille et s’en mettre une portion de côté au congélateur pour la semaine suivante. Réfléchir aussi à ce qu’elle aurait vraiment envie de manger, qu’elle ne peut pas manger en famille en observant si cela peut la motiver à cuisiner un peu.
Manger seule de façon colorée, variée et savoureuse
Sophie, qui ne supporte pas la solitude
Sophie a enchainé plusieurs relations de couple, elle n’a jamais vécu seule. Elle n’aime pas ce célibat, a du mal à apprécier d’être seule chez elle, tourne en rond, ne sait pas à quoi s’occuper, mais en tout cas, pas à cuisiner. Elle ne s’assied pas à table pour manger, met la télévision ou “scrolle” sur les réseaux sociaux, grignote machinalement sur sa table basse, hésite à téléphoner trop souvent à ses amies par peur de les déranger mais elle voudrait de la compagnie.
Pistes : d’une part, apprivoiser peu à peu la vie de célibataire en réfléchissant à des activités agréables à faire chez elle. Essayer de ritualiser le moment du repas en se préparant un plateau composé. Tester la radio ou la musique plutôt que les écrans pour porter un peu plus d’attention à ce qu’elle mange. D’autre part, réfléchir aux possibilités de créer du lien autour du repas, par exemple dans le voisinage ou en s’impliquant par exemple dans une association d’aide alimentaire.
Elisabeth, qui ne veut pas cuisiner pour elle seule
Elisabeth sait très bien cuisiner et est ravie de le faire quand elle reçoit des ami.e.s. Cuisiner est une façon de faire plaisir aux autres, de leur montrer qu’elle les aime. Mais elle n’arrive pas à cuisiner pour elle seule. Elle n’en voit pas l’intérêt, néglige ses repas, mange vite fait sur un coin de table.
Pistes : Dissocier la cuisine et le repas : organiser des sessions de cuisine comme une activité en soi, éloignée des repas (“Cuisiner, c’est méditer”) puis congeler des portions en vue des repas futurs. Et travailler sur l’importance qu’elle accorde à prendre soin d’elle-même, et installer l’idée que bien manger en fait partie. NB : on peut parfois identifier que cette difficulté à cuisiner pour soi peut être liée à un déficit d’estime de soi, qui pourra être travaillée en thérapie en parallèle/
Charlotte qui est perdue car c’était son ex qui cuisinait
Charlotte n’a jamais appris à cuisiner, on a toujours cuisiné pour elle depuis qu’elle est enfant. Et c’était de bons plats, qu’elle aimait manger car elle est très gourmande. Désormais célibataire, elle enchaîne les plats préparés mais ne se régale pas et a arrêté de cuisiner suite à quelques ratages qui lui ont ôté toute confiance en elle.
Pistes : initier un apprentissage progressif de la cuisine; en acceptant que cela peut prendre un peu de temps, en partant de recettes très simples autour de ce qu’elle aime, en utilisant les moyens les plus appropriés : internet et youtube, des amies et/ou membres de la famille qui soient bienveillants et puissent s’adapter à elle sans lui mettre de pression.
Florence, issue d’une grande famille, qui ne sait pas gérer les quantités
Florence a cinq frères et sœurs. Elle a toujours vu sa mère faire des courses imposantes, cuisiner en grande quantité. Elle mangeait ce qu’il y avait dans son assiette et n’a jamais acquis de repères de ce que seraient les quantités à cuisiner pour une personne. Elle en fait toujours beaucoup trop et se retrouve obligée de manger toujours le même plat plusieurs jours d’affilée, ce qui la contrarie, ou de gaspiller des aliments en trop qu’elle n’a pas le temps de cuisiner.
Pistes : acquérir des repères de quantité et tester ce qui lui suffit. Acheter moins, surtout en produits frais. Continuer éventuellement à cuisiner plusieurs portions pour en congeler (envisager de changer de frigo car elle n’a pas de compartiment congélation). Expérimenter aussi la cuisine domino pour ne pas se lasser (si elle ne peut pas/ne veut pas congeler certains mets) : réutiliser des restes d’une autre façon, par exemple des légumes cuits dans une tarte salée, mixés en soupe, associés à des lentilles ou du riz sauté, ….
Marie, qui veut perdre du poids pour rencontrer quelqu’un
Marie a pris du poids au fil du temps en utilisant souvent l’alimentation comme réconfort à sa solitude. Désormais, elle s’est mis en tête de rencontrer quelqu’un et s’est lancée dans une alimentation très restrictive pour perdre du poids rapidement. Mais cela occasionne des craquages qui ne la font pas avancer vers la silhouette souhaitée, au contraire.
Pistes : sortir de la restriction en réintégrant progressivement tous les aliments “interdits”, en mangeant de tout, et constater que cela limite les craquages. En parallèle, développer une auto-bienveillance vis-à-vis de son corps et travailler sur ses pensées pour intégrer progressivement l’idée que ses kilos en trop ne sont pas nécessairement un frein à des rencontres…
Claudine, célibataire de longue date
Claudine ne veut pas se prendre la tête, manger ne l’intéresse pas trop, alors elle fait très simple : elle prépare des salades en été et des soupes en hiver. Toujours un peu les mêmes salades, les mêmes soupes. Mais elle n’en peut plus de cette monotonie et compense le manque de plaisir en mangeant de grandes quantités de fromage.
Pistes : réfléchir à ce qu’elle aurait envie de manger de différent. Se constituer un répertoire de recettes simples et rapides en plongeant dans ses livres ou blogs de cuisine favoris. Se préparer de jolies assiettes et développer l’habitude de manger avec tous ses sens. Faire du moment de la cuisine un moment agréable en mettant de la musique, un podcast, …
Irène qui a été au régime toute sa vie
Irène a été mise au régime enfant par ses parents qui ont contrôlé sa nourriture, la conduisant à manger en cachette. Elle a été ensuite en couple avec un homme qui était obsédé par la minceur et surveillait sa nourriture, l’obligeant à se restreindre. Elle vit maintenant seule et se lâche complètement côté alimentation, se gavant de biscuits ou de chips, profitant du fait que plus personne ne peut la voir et la surveiller.
Pistes : intégrer l’idée qu’elle a le droit de manger de tout et que plus personne n’est là pour la priver mais qu’elle peut réapprendre à s’écouter et à profiter de ce qu’elle mange. Manger selon ses envies et reprendre confiance dans le fait qu’elle peut manger varié sans ressentir de frustration.
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Peut-être certains des aspects abordés ici vous auront parlé. Manger seule peut constituer un moment agréable où l’on peut vraiment profiter de ce qu’on mange, sans avoir à faire de compromis. A vous d’envisager comment en faire un moment pour vous. Je vous souhaite de beaux tête à tête avec votre assiette (merci à une lectrice pour cette jolie expression).
NB : Juste au moment où je commençais à écrire ce texte, je suis tombée via une “story” Instagram de la journaliste-autrice Farah Keram sur Sutanya Dacres qui a fait un podcast et écrit un livre “Dinner for one, how cooking in Paris saved my life” : en plein dans le thème donc ! Je n’ai pas trouvé à temps le livre à Paris mais le résumé indique qu’après une rupture, elle a découvert le plaisir de cuisiner pour elle-même dans son petit appartement montmartrois et cela a entraîné plein de changements dans sa vie !
Au moment de conclure, Pascale Weeks me rappelle qu’elle avait écrit une (excellente) newsletter sur le sujet où elle donne des suggestions.
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Pépites de fin d’année
La découverte du podcast Meta de Choc que je ne connaissais que de nom, grâce à mon amie Darya, fine cuisinière et professeure de yoga. Ce podcast vise à développer notre esprit critique en prenant du recul sur nos pensées, nos croyances. J’ai écouté quelques épisodes très intéressants, notamment sur le New Age visant les femmes ; l’anthroposophie (que j’avais déjà approchée en lisant quelques articles notamment autour de Pierre Rabhi, en lien avec mon éloignement mentionné le mois dernier), etc.
Une soirée-conférence de l’Institut des Futurs Souhaitables : Peut-on encore voyager loin ? Cela prolonge la réflexion déjà engagée l’année dernière autour du sujet de l’avion. On n’est toujours pas retournés au Japon, on s’interroge, on n’a pas pris l’avion en 2023 et voyagé seulement en train en France. Il était intéressant de voir que certaines personnes jeunes dans le public trouvaient qu’il était peut-être plus facile de renoncer à ce qu’on ne connait pas. Qu’on devrait pouvoir voyager loin avec d’autres modes de transport en prenant son temps (avec des changements nécessaires dans la conception des congés côté entreprises). Qu’on peut passer des vacances passionnantes et dépaysantes en France. Mais il faut transformer notre imaginaire et la désirabilité du voyage lointain (qui, rappelons-le, concerne une minorité). Pour ma part, j’apprécie de voyager en France et en Italie, ce qui peut s’envisager en train. Et la question du Japon n’est pas tranchée : le Japon est un pays vraiment particulier mais je me dis qu’on en a peut-être suffisamment profité avec nos nombreux voyages. Question de renoncement… Si vous n’avez pas encore conscience du poids des voyages en avion dans votre empreinte carbone, vous pouvez la calculer sur Bonpote par exemple.
J’ai toujours plaisir à écouter le podcast, disponible aussi en vidéo, du Club des Motivés d’Holybelly et le dernier épisode avec le patron du bistrot Paul Bert, Bertrand Auboyneau, racontant son parcours, était très sympathique.
J’ai aussi écouté Olivier Roellinger dans le podcast de Lili Barbery et je me sens toujours très en phase avec sa vision de l’alimentation.
Congelable et non pas congolaise 😅
Bonjour Ariane, tout d'abord je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année !
Je suis une fidèle de votre compte IG et de votre newsletter et celle-ci me parle particulièrement !!
En tout 2 ans, je suis passée d'une vie de couple avec beaucoup de repas pr les enfants et les amies à une vie solo!
J'ai perdu mon mari il y a 2 ans et j'ai changé de région.pr faire diversion...
Et je ne regrette pas du tout!
Par contre, habitant maintenant seule, je "rame" pr me nourrir correctement et avec plaisir, j'ai commencé par manger debout un bout de fromage et du pain, bien sûr j'avais l'excuse que ma cuisine n'était pas encore installée...
Ensuite, j'ai trouvé un boucher près de moi qui faisait traiteur, je suis devenue une très bonne cliente...quand je n'allais pas au restaurant avec les qq amis rencontrés
Et enfin au bout d'un an, j'ai eu envie de vrais légumes et je suis ds une région où il est très facile de s'en procurer
Je me suis équipée de récipients en verre congolaises
Et après mon marché, j'epluche, je coupe, je cuis en écoutant des podcasts et j'en congele toujours la moitié
Trop difficile pour moi d'évaluer les quantités pr une personne !
Depuis que je cuisine , j'ai l'impression d'avoir un peu guéri de toutes ces souffrances...
Voilà mon expérience et encore merci pour vos écrits toujours aussi intéressants que j'attends chaque fois avec impatience !!
Merci !!