Je me souviens que, petite fille, j’étais terriblement timide et réservée. Je ne sais pas précisément d’où c’était venu* mais cela m’a suivie longtemps. Et ça n’a pas totalement disparu d’ailleurs ! Autant je n’ai aucune difficulté à faire une intervention en public ou à m’exprimer dans les médias sur mon domaine de compétence, autant je ne peux pas dire que je sois parfaitement à l’aise si je me retrouve dans un cocktail où je ne connais personne. J’ai fait des progrès cependant : au lieu de me morfondre, j’avise une personne qui a l’air aussi seule que moi et lance une conversation sur un sujet bateau !
La timidité n’est pas éternelle !
A l’époque, je n’analysais pas précisément mon ressenti mais j’avais bien conscience de cette difficulté. Depuis, j’ai appris que la timidité, contrairement à ce qu’on pense souvent, n’est pas un trait de personnalité mais un état ponctuel, lié à des situations où on a peur d’être jugée, de ne pas être à la hauteur, de ne pas répondre aux attentes… J’écrivais que j’étais timide enfant. Je crois que je le ressentais dans de très nombreuses situations, d’où ma croyance que c’était mon tempérament : j’étais même timide et réservée avec mes parents, qui n’étaient pourtant que gentillesse et attention…
Timide et/ou introvertie ?
J’ai ensuite découvert la notion d’introversion. Je ne sais plus trop quand. Peut-être par des lectures ou, il y a fort longtemps, quand j’ai fait le test MBTI, sur la suggestion d’un collègue je crois (si vous ne connaissez pas, la précieuse Chaudron Pastel a écrit de façon détaillée à ce sujet). Le fait d’être introvertie, caractéristique que je m’attribue donc, est un trait de personnalité. Qui n’a rien à voir avec la timidité. La personne introvertie est capable de passer du temps en compagnie et d’échanger sans stress, elle peut affirmer clairement ses convictions, de façon calme. C’est en général une personne plutôt posée, appréciant la tranquillité, qui se sent vite agressée par une ambiance trop bruyante et agitée. Elle préfère voir les personnes en petit nombre, avoir des conversations de fond avec elles. Et elle apprécie et a besoin, pour se sentir bien, de passer du temps seule. Je me reconnais totalement ! Là aussi, Chaudron Pastel avait très bien parlé de son introversion
En résumé, comme je l’ai lu quelque part, la personne timide subit l’isolement, la personne introvertie le choisit pour se ressourcer.
Vous vous situez plutôt de quel côté ?
Goût de la solitude ET goût des autres
Est-ce à cause de cette timidité qui rendait difficile le contact avec les autres (même si j’avais quand même quelques amies de classe et de voisinage !) Ou est-ce plutôt le fait d’être introvertie ? Ou un mix des deux ? J’ai le sentiment d’avoir toujours apprécié, voire recherché, la solitude. Dès que j’ai su lire, j’étais heureuse de plonger dans un livre, quand mon frère n’avait de cesse de me déranger pour jouer car lui n’aimait pas rester seul ! Bref, le temps a passé et je n’ai pas aucun problème à rester seule ou à mener des activités en solitaire (aller au cinéma, me balader, et même manger (même si je préfère un bon repas en bonne compagnie…). Je passe régulièrement des moments solitaires et mon cher compagnon, qui en a besoin également, n’y voit aucun problème. On passe la majeure partie de notre temps libre ensemble mais on a aussi de réguliers moments en solo.
Ce qui a changé progressivement pour moi, c’est le goût des autres, le plaisir de passer du temps en compagnie. Plus les années ont passé, plus j’ai découvert et apprécié les rencontres et échanges avec d’autres personnes. Il me semble que cela s’est renforcé depuis que j’ai choisi ce métier. Sans doute car je rencontre plus facilement des personnes avec lesquelles j’ai des affinités. Je suis heureuse quand ma semaine prévoit des rendez-vous avec des ami.e.s et relations de toutes sortes . Je suis souvent à l’initiative d’occasions de rencontres quand j’ai envie de revoir une personne chère. Car ces échanges me réjouissent et me nourrissent : ils me manquent quand ils se raréfient. J’ai compris au fil du temps combien ils étaient importants dans mon bien-être général. J’ai l’impression d’avoir trouvé globalement un bon équilibre entre solitude et sociabilité.
Pour moi, cela s’est fait progressivement. Certaines personnes, en revanche, ont toujours aimé vivre avec les autres, recherchent activement leur compagnie, sentent que cela les ressource et sont vraiment malheureuses si cela manque. Ce sont des personnes plutôt extraverties probablement. Il y a aussi des personnes qui n’ont pas ce besoin naturel mais croient qu’il FAUT voir beaucoup de monde. Qui ont peut-être peur qu’on les apprécie moins si elles laissent passer du temps sans voir leurs proches.
Je considère encore et toujours que chaque personne est unique et que chacune peut trouver son propre équilibre en fonction de son mode de vie, son tempérament, son histoire personnelle. Et je crois cet équilibre nécessaire : on ne peut pas vraiment vivre bien en étant totalement solitaire (même Robinson Crusoé ne supporte pas le départ de Vendredi !), on a besoin des autres. J’avais ainsi parlé du rôle des relations sociales dans notre bien-être et notre santé à long terme. A l’inverse, ne pas avoir le moindre moment pour soi risque de poser problème un jour ou l’autre. Mais le dosage solitude-sociabilité est propre à chaque personne. Certaines personnes sont très introverties et aller vers les autres leur demande un effort particulier, qui peut les épuiser s’il est trop répété. Comme le dit Glenn Gould dans cette citation glânée sur twitter : “Il existe un ratio optimal, que souvent on ignore, entre le temps passé seul et dans la compagnie de nos semblables. En ce qui me concerne, il me faut des journées entières pour me purifier d’une heure en société”…
Je ne vais pas ici approfondir davantage un sujet complexe. Il me paraissait intéressant de clarifier les différences entre timidité et introversion. Cela se croise parfois aussi avec l’hypersensibilité, qui va faire ressentir des sensations et émotions plus intenses qu la moyenne ; avec la réserve, qui est plutôt un choix de ne pas aborder certains sujets. L’histoire de vie, le fait de rencontrer les bonnes personnes ou pas, peuvent aussi influer sur notre relation aux autres.
Et le lien avec la nourriture ?
Certaines personnes, nombreuses parmi celles qui me consultent, ont développé, à un moment particulier de leur vie, un lien émotionnel à la nourriture, source d’apaisement et de réconfort. Si des situations relationnelles ne correspondent pas à nos besoins et nos envies, elles peuvent créer un mal-être, qui sera ainsi calmé par la nourriture.
Acclimater la solitude
Ainsi, par exemple, ne pas supporter la solitude peut conduire à la redouter, à avoir peur du vide auquel on l’associe. Je me souviens d’une patiente qui n’avait jamais vécu seule, passant de la vie familiale à la vie de couple : elle fut très démunie quand elle se retrouva seule suite à une rupture. Ce fut l’occasion de sortir beaucoup car elle ne supportait pas de rester seule chez elle. Mais cela arrivait certains soirs et, alors, elle mangeait beaucoup, pour s’occuper et combler le vide ressenti. Sans compter la fatigue créée par l’impératif de sortir beaucoup. Ou une autre personne célibataire, qui se sentait vraiment bien quand elle passait une soirée avec des proches, mais, alors, trouvait le retour chez elle insupportable et se mettait à manger, même après avoir dîné. Ressentir vraiment des difficultés avec le fait de rester seule peut éventuellement nécessiter un accompagnement thérapeutique ou la mise en place de pratiques personnelles (la méditation par exemple) qui aident à faire face à des ressentis internes pénibles (qui peuvent avoir un lien avec la peur de ne pas être aimée, une angoisse existentielle, …).
Changer ce qu’on peut changer…
Par ailleurs, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Il n’est pas toujours facile de créer le contexte qui nous convient. Je me souviens d’une patiente extravertie, aimant les relations avec les autres. Mais elle vivait seule, travaillait à distance, avait la plupart de ses relations amicales à l’étranger, avait peu d’opportunités d’en créer de nouvelles. Et donc ressentait beaucoup de tristesse et de frustration de cette solitude non choisie. Ce qui la conduisait à chercher un adoucissement temporaire dans des nourritures sucrées. La période du Covid, et son interdiction de voyager, fut particulièrement douloureuse.
A l’inverse, une personne pour laquelle il est très difficile d’aller vers les autres, va peut-être se forcer, se mettre dans un état de tension important lors d’occasions conviviales. Cela peut avoir deux effets notamment : soit manger beaucoup en compagnie des autres parce qu’elle est en prise aves des pensées et émotions pénibles et essaie de les calmer ou pour se donner une contenance ; soit parce cette sortie aura demandé une énergie considérable et qu’elle aura besoin de la nourriture pour calmer son agitation, une fois rentrée.
Certaines femmes connaissent leur besoin de solitude mais leur vie familiale rend difficile le fait de créer ces moments. Parfois, la possibilité d’être seule intervient seulement une fois les activités ménagères terminées, les enfants couchés et, pour en profiter, cela s’accompagne de douceur alimentaire. Ce n’est pas grave en soi mais c’est souvent le signe d’une accumulation de frustrations.
Bref ce qui me paraît essentiel, comme dans bien d’autres domaines, c’est de SE CONNAÏTRE ! Comprendre ce qui nous fait du bien, cerner l’équilibre qui nous est personnel entre les moments avec d’autres personnes et les moments de solitude. Et avoir confiance dans sa capacité à changer. On ne maîtrise pas tout son contexte de vie. On peut cependant agir dans deux directions : d’une part, comme je l’évoquais plus haut, apprendre à être à l’écoute de son état émotionnel, développer sa tolérance aux émotions désagréables (travail souvent abordé avec mes patientes) ; d’autre part, agir sur les marges de manoeuvre dont on dispose, qu’il s’agisse d’aller vers davantage de solitude ou davantage de compagnie pour trouver un équilibre. Je me souviens d’une patiente qui était partie trois jours en thalasso seule alors que, quelques semaines auparavant, elle n’aurait jamais imaginé s’autoriser ça. Les choses ne sont pas aussi figées qu’on le croit parfois, on peut travailler sur des limites auto-imposées, des croyances, de la culpabilité. En résumé, comprendre ce dont on a besoin et avancer peu à peu vers ce juste équilibre solitude-socialbilité en se faisant confiance.
Je serais ravie d’avoir vos témoignages sur ce sujet en commentaire (merci de ne pas me répondre par mail, cela ne me permet pas de vous répondre facilement).
*ma mère ayant arrêté de travailler pour nous élever, ne pas aller en crèche, rentrer déjeuner à la maison plutôt qu’aller à la cantine, avoir des parents qui voyaient peu d’amis, tout cela n’a pas dû aider…
Pépites du mois
J’ai, comme beaucoup d’entre vous probablement, été très émue en découvrant par hasard sur les réseaux sociaux la vidéo du conjoint de la prof assassinée, Agnès Lassalle, dansant, ainsi, que leurs proches, dans un dernier hommage.
Touchée aussi en découvrant, sur Arte, l’histoire des nageuses d’Hakoah, un club juif dans la Vienne des années 30 aux nageuses talentueuses et que le réalisateur retrouve longtemps après.
La richesse de programmes de France Culture est infinie et il faut forcément faire des choix. J’ai trouvé passionnante (et terrifiante) la série LSD “Les fantômes de l’hystérie” (traitée sous des angles historique, sociologique, psychologique, médical, artistique…).
A l’écoute, encore une fois, d’A Voix Nue, où je me suis cette fois régalée d’écouter le parcours engagé de Claudine Monteil, écrivaine, diplomate et historienne.
Vous pouvez aussi me raconter en commentaire ce qui vous a touchée
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En retard dans mes lectures mais quel plaisir de vous lire. Vos mots sont très justes. Je me retrouve dans cette introvertie qui a métier qui le lui laisse pas vraiment de l'être et qui de ce fait manque de ces ou ses précieux moments de solitude.
Merci pour ce texte très rassurant - en ce qui me concerne. Je n’étais pas timide, plutôt extravertie plus jeune, toujours en bande, j’ai beaucoup fait la fête. Maintenant, j’aspire à beaucoup plus de solitude, je suis même devenue une taiseuse ou plutôt, quand je suis en compagnie de plusieurs personnes, je n’éprouve plus le besoin -voire pire? l’envie- de parler. Le confinement ne m’a pas pesé, j’ai aimé cet espace de « retraite » et cet état est assez nouveau pour moi. Mon mari trouve que je me replie, moi j’y trouve un état de grâce...