Parfois, je rêve d’une vie bien ordonnée, avec ses rituels et ses habitudes : thé, nage, marche, cuisine, écriture, etc. A la retraite ?! Je ne sais même pas si j’en ai vraiment envie ! Je crois que j’aime aussi le changement. Chaque personne est pleine de contradictions, non ?!
Cela fait un moment que je réfléchis ceci-dit à la question des habitudes, des routines, de leurs avantages et leurs inconvénients, notamment dans le domaine alimentaire. Le sujet est revenu soudain en tête de mes pensées après avoir vu le beau film de Wim Wenders, Perfect Days. Le héros du film, Hirayama, a une vie très réglée, avec de nombreux rituels. Chaque jour, il est réveillé au même moment par une personne qui passe le balai dans la rue, il plie son futon, se brosse les dents et arrange sa moustache, arrose ses plantes, se prépare pour partir au travail, regarde le ciel en sortant de chez lui, prend un café à la machine, … Il mange toujours un sandwich dans le même parc le midi, va toujours dîner dans les mêmes cantines, lit avant de dormir, …
Vous n’avez peut-être pas envie d’une vie aussi réglée ! Cela vous parait peut-être monotone. Sans aller aussi loin dans la répétition, je suis persuadée qu’une dose de repères dans la vie quotidienne, propre à chaque personne, selon son tempérament et son mode de vie, a une utilité. Avez-vous d’ailleurs conscience de vos propres habitudes et de leur adéquation à vos besoins et vos aspirations ?
Dans le vaste monde de ce qui structure notre vie, il me semble qu’on peut, sans prétendre à l’exhaustivité, distinguer routines, rituels et règles.
Les routines
Les routines sont des activités qui s’inscrivent progressivement de façon régulière dans notre vie. On peut avoir des routines personnelles, familiales, professionnelles, sportives… Ainsi, prendre une douche le matin, prendre toujours le même trajet pour partir travailler, aller déjeuner avec les mêmes collègues toujours à la même heure, faire du yoga ou de la zumba le jeudi soir, …
La routine est souvent perçue de façon péjorative, comme une sorte de fonctionnement automatique, éventuellement ennuyeux. Je ne vois pas quel est le problème en soi d’avoir des habitudes répétitives. Je pense qu’une routine peut être utile voire agréable. Elle a des avantages : gagner du temps, économiser de l’espace mental, éviter de se se poser des questions. La routine libère la tête. Installer une habitude régulière évite de se poser à chaque fois la question de ce qu’on fait ou pas. Par exemple, j’ai la routine de me mettre une crème hydratante sur le visage chaque matin après ma douche : je n’ai pas besoin de réfléchir si je le fais ou pas, je le fais.
Les routines permettent de libérer l’esprit. Cela ne signifie pas forcément les vivre de façon entièrement automatique. Il me semble que se libérer la tête de la décision ne signifie pas forcément être ailleurs. Imaginons que je prenne toujours le même itinéraire pour le travail : soit je peux le faire en pilotage automatique en pensant déjà à la journée qui m’attend, soit je peux être attentive à mon environnement, le ciel, les nuages, l’air frais, les arbres, ce qui se passe dans la rue, …Vous pouvez prendre une douche chaque matin et penser totalement à autre chose (d’ailleurs, beaucoup d’idées viennent sous la douche !). Vous pouvez aussi profiter consciemment de l’eau qui coule, du parfum du savon. Ou un peu des deux…
Pour ma part, j’ai quelques routines : les mêmes gestes quotidiens en matière d’hygiène-beauté le matin et le soir ; j’ai aussi l’habitude de me changer pour une tenue confortable en rentrant chez moi ; de me coucher/lever à heures régulières, sauf exception. En matière de repas, on a une répartition plutôt régulière avec Monsieur des jours où chacun cuisine. Pendant plusieurs années, j’ai aussi eu une routine de m’habiller presque toujours pareil, jean et marinière (ou pull). Comme je l’avais expliqué sur le blog, voilà encore une habitude qui libère de l’espace mental. Je l’ai assouplie désormais. Côté boulot, mon emploi du temps de diététicienne libérale n’a rien à voir avec une vie réglée de bureau 9h-18h et je n’ai pas vraiment de routine stable d’une semaine à l’autre.
Parfois, des patientes me disent avec un soupir, voire un brin de culpabilité : “je mange toujours la même chose le matin”. Je demande “et ça vous convient" ?” “Oui mais…”Mais quoi ? Bien sûr, varier son alimentation est source d’apports nutritionnels complémentaires et de plaisir. Mais focaliser sur le petit déjeuner n’est souvent pas le plus adapté. La plupart des personnes ont beaucoup de choses à penser le matin et donc peu d’espace mental à consacrer au choix du petit déjeuner et à se demander “alors, aujourd’hui, qu’est-ce que je mange ? du porridge ou un oeuf à la coque, ou des pancakes ou un smoothie, … ?” (bien sûr, on peut si on a vraiment du temps !).
Il me parait important de réinterroger régulièrement nos routines pour vérifier qu’elles nous conviennent. Pendant des années, quand j’étais salariée, j’ai eu moi aussi un petit déjeuner globalement identique : des flocons d’avoine mis à “cuire” dans du jus d’orange la veille au soir avec du yaourt + des fruits de saison variés. Cela me convenait et me satisfaisait gustativement. Ce n’est plus désormais une routine immuable : je petit-déjeune parfois à l’extérieur, je me tourne parfois vers des tartines de bon pain au levain (car on en trouve facilement désormais), il peut arriver que je ne petit-déjeune pas si j’ai eu un dîner copieux ou si je dois déjeuner très tôt. Bref, une routine de base + la souplesse de m’adapter.
En revanche, si l’on pense au dîner, je constate que la routine de manger à peu près toujours la même chose de semaine en semaine est source de monotonie et de désintérêt pour les repas. De nombreuses personnes mangent vite sans trop d’attention car c’est peu intéressant. Certaines prennent parfois conscience, en en parlant, que c’est comme une case à cocher dans une “todo list” pour passer vite à autre chose. J’accompagne souvent les personnes vers une organisation adaptée qui leur permette d’avoir des repas davantage variés et plaisants.
Donc, tout cela mérite peut-être des points d’attention :
est-ce que cette routine est menée de façon totalement automatique ou avec un peu de conscience ?
est-ce que je la subis ou est-elle choisie et me convient-elle ?
Une routine est ok si vous la vivez bien et si, comme je l’indiquais, elle vous libère la tête. Mais la routine peut aussi être pesante. J’ai lu récemment la Femme gelée d’Annie Ernaux et il était frappant de voir à quel point la routine répétitive des tâches ménagères à accomplir comme étudiante-femme au foyer puis mère lui était tout à fait insupportable : ce n’était pas la vie qu’elle avait envie de mener et cela prenait toute la place ou presque. Par ailleurs, une routine trop rigide risque de bloquer la possibilité d’agir autrement selon le contexte ou de saisir une opportunité agréable. Je me souviens ainsi d’une patiente qui apportait sa gamelle au bureau tous les jours et en venait à refuser un plaisant déjeuner avec des collègues car sa gamelle était là (alors qu’elle aurait pu la garder pour le soir ou le lendemain).
Les rituels
Le mot rituel a au départ un sens religieux (chaque religion ou mouvement spirituel a ses propres rituels codifiés). Il s’est progressivement immiscé dans notre vie quotidienne, peut-être à l’excès. Vous avez peut-être entendu ou lu d’installer “vos rituels beauté”. Pourquoi pas ? Il me semble que la différence avec la routine est l’intention que vous y mettez. La routine est une habitude de votre vie quotidienne qui vous convient. Un rituel est une action que vous pratiquez plus consciemment, auquel vous donnez un sens en lien avec la vie que vous avez envie de mener, la personne que vous voulez être. On peut avoir des rituels spirituels, bien-être, alimentaires, familiaux. Quand on a un rituel, ce n’est pas seulement une tâche du quotidien, c’est un moyen de vivre en fonction de ce qui compte pour nous.
Pour ma part, je suis dans une phase de transition (qui dure un peu !). J’ai abandonné en mai dernier mon rituel d’aller nager 6 jours sur 7 à 7h00 du matin. J’en ai parlé dans le Fil d’Ariane. Avantage, plus besoin de réveil, je me réveille naturellement, à peu près à la même heure d’ailleurs, en général vers 6h20-6h30. J’ai installé un nouveau rituel matinal : quasiment dès le réveil, environ 30-40 mn de lecture d’un livre, en buvant du thé. J’adore vraiment lire, j’avais cette activité plutôt le week-end. Désormais, je l’intègre aussi aux jours de semaine. Concernant la piscine, les semaines varient : je n’ai pas pour l’instant retrouvé une vraie routine en matière de natation, J’y vais une à trois fois par semaine à des horaires variables, hormis le fait d’y aller le samedi à 7h00 car c’est un moment peu relativement peu fréquenté. Mon emploi du temps étant très variable et les horaires des piscines aussi, ce n’est pas simple ! Je suis aussi en train d’installer un nouveau rituel du dimanche matin : une longue balade dans Paris conclue souvent par un café.
Nous avons aussi des rituels partagés avec Monsieur. Par exemple, le fait de prendre un temps de pause avant le repas en disant Itadakimasu . On a aussi le rituel d’aller déjeuner au restaurant le samedi midi, celui de déjeuner avec mon père environ une fois par mois, de célébrer en février le début de notre relation, etc.
Ritualiser certaines activités permet aussi d’y mettre du sens, de mieux les supporter si elles sont répétitives, qu’il s’agisse de faire le ménage en musique, de cuisiner en y mettant de l’attention, de prendre soin de son corps en prêtant attention à son ressenti, …
Les rituels ont vraiment une dimension très personnelle (même si on participe aussi bien sûr à des rituels collectifs, liés aux fêtes, aux dates clés du calendrier : on est pile entre la Galette des Rois et la Chandeleur par exemple !).Ils font partie de votre vie parce qu’ils correspondent à vos valeurs, parce qu’ils vous apportent un cadre qui est en phase avec vos convictions et votre tempérament. Avez-vous conscience des rituels présents dans votre vie ? Ont-ils une source personnelle, familiale, sociale ?
Les règles
La règle ne se traduit pas toujours directement par un comportement mais est plutôt une décision mentale face à un sujet de préoccupation. Exemples de règles que j’ai observées chez des patientes : “je ne mange pas entre les repas”, “je fais 1/2h de sport minimum”, “je fais du sport 3 fois par semaine”, “Je ne mange pas de féculents le soir”, “je finis toujours mon assiette”, …
Les règles peuvent fonctionner si c’est vous qui qui en décidez et non une instance extérieure et si elles ne sont pas trop rigides. Dans les cas mentionnés ci-dessus, certains relèvent ainsi davantage d’injonctions extérieures et de croyances que de choix vraiment personnels. Une règle est utile si elle fonctionne sans créer de frustration ou de difficulté. Par exemple, “ne pas manger entre les repas” n’est pas forcément une règle adaptée à tout le monde car elle peut conduire à trop manger le midi pour tenir ou à arriver affamée le soir.
Pour ma part, j’ai essayé de réfléchir aux règles que je me fixe. Et j’ai eu du mal à en trouver ! J’en ai forcément mais certaines doivent tellement intégrées ou implicites que je n’en ai plus conscience ! J’en ai trouvé quelques-unes : je vais toujours voter s’il y a une élection (sauf si je suis absente). Je ne prends pas le métro ou le bus si je peux me déplacer à pied à peu près dans le même temps dans Paris. En matière d’alimentation, je me suis fixée depuis presque dix ans la règle de ne plus cuisiner de viande et de poisson et je m’y tiens à 95% (pas de rigidité !)
Dans mon enfance, il y avait en revanche beaucoup de règles implicites ou d’habitudes concernant l’alimentation : les croissants le dimanche matin, le poisson au déjeuner le mardi ou le vendredi car il y avait le marché ; le poulet rôti du dimanche midi, des oeufs une fois par semaine, etc.…
En tant que diététicienne, je suis contre les régimes, la restriction et prône la souplesse. Je ne suis pas trop adepte des règles si elles enferment de façon rigide. Mais, comme je l’explique parfois à des patientes, il peut être intéressant de s’en fixer quelques-unes car cela peut simplifier la vie, éviter de se poser toujours des questions, limiter l’univers du possible. A condition que ces règles ne soient pas ressenties comme une privation risquant d’entrainer une compensation. Si elles sont bien choisies, les règles peuvent être, comme les routines, un moyen de libérer de la place dans notre cerveau. Exemples de règles :
prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur quand il y a moins de 4 étages parce qu’on a envie de mouvement quotidien,
ne pas boire pas d’alcool en semaine chez soi car on a davantage d’énergie ainsi,
réaliser une pâtisserie une fois par semaine avec ses enfants,
Pas d’idéal !
Comme je le répète régulièrement, chaque personne est unique et peut donc trouver le dosage qui lui convient entre des habitudes répétitives et de l’improvisation et de la souplesse. Ainsi, une personne angoissée sera particulièrement rassurée par la mise en place de routines qui créent un cadre stable. Une personne qui a une vie très animée et changeante ressent probablement le besoin d’une certaine stabilité par des rituels répétés quelles que soient les circonstances. Une personne qui a besoin de mettre beaucoup de concentration ou d’énergie dans une activité aimera se trouver cadrée par des habitudes. Ainsi, les écrivains, les artistes, les sportifs de haut niveau, ont souvent des rituels qui structurent leur pratique. Structurer les journée, avoir des repères, libérer de l’espace mental, cela compte. Mais, je le répète, nous sommes toutes différentes. Ce qui peut être un cadre rassurant pour l’une sera perçu comme un carcan pénible par une autre.
Toute cette régularité, ces habitudes sont intéressantes si elles libèrent de l’espace mental, permettent de dégager de l’énergie pour des activités, des projets qui nous sont chers. Mais cela risque de ne pas fonctionner durablement si cela vous contraint trop, vous agace, vous frustre, si c’est trop rigide, décidé par d’autres et vous empêche de faire des choses que vous aimez. Ainsi, si on se fixe une routine d’aller courir à 6 heures du matin comme des collègues alors qu’on est clairement du soir, ça ne tiendra pas dans la durée.
Il y a quelques semaines, Géraldine Dormoy, qui confie que son mari et son fils la qualifient de “femme d’habitude” publiait une newsletter intitulée “Une vie trop réglée ?” Qui sommes-nous pour lui dire que ce serait “trop” ? Peut-être trop pour nous mais par pour elle et c’est ce qui compte. Elle explique que c’est un antidote à sa nature excessive qui l’emmènerait plutôt vers “le chaos”. De la même façon, l’autrice, entrepreneuse et philosophe Marie Robert, interviewée dans le podcast l’Art de l’Attention de Fanny Auger, confie que les rituels, “c’est ce qui la tient debout, littéralement”. A la fois un moyen de calmer ses angoisses existentielles, des repères indispensables qui la font tenir en cadrant ses journées où qu’elle soit (elle a des rituels du matin et du soir), alors qu’elle a une vie nomade et intense.
Parfois, j’aspire à un emploi du temps plus structuré mais ce n’est pas évident à mettre en place. Je gère directement les rendez-vous avec les patientes et décide de charger plus ou moins telle ou telle journée, de garder du temps “libre” selon ma convenance et mes activités mais la physionomie des semaines est néanmoins très changeante. Je n’étais ceci-dit pas plus heureuse (oh non !) ni, me semble-t-il, plus “efficace” quand j’allais au bureau de 9h00 à 18h30…
Et vous ?
Avez-vous conscience de vos routines et rituels ? Dans les domaines alimentaire, sportif, bien-être, shopping, lecture et loisirs, relation aux autres ? Et des règles qui vous cadrent ? Pourquoi ne pas faire le point pour vérifier que vos pratiques sont en phase avec vos besoins ?
Il peut être intéressant d’appliquer ma “méthode” 4C : Constater Comprendre Changer Communiquer
Constater : prendre conscience de vos pratiques, de vos habitudes, vos rituels, de ce qui se répète au fil du temps en matière d’organisation de la journée, d’alimentation, de relation aux autres, de bien-être, de famille…
Comprendre : pourquoi ces comportements sont-ils là ? D’où viennent-ils ? Question d’éducation, de vie de famille, de mimétisme, d’injonctions extérieures, de croyance que c’est bon pour vous ?
Changer : quelles routines auriez-vous envie d’installer? Que souhaitez-vous expérimenter ? De quelles nouvelles habitudes avez-vous envie qui pourraient remplacer d’autres à abandonner ? En partant de ce qui est important pour vous. De ce qui vous manque pour vous sentir bien et mener à bien d’éventuels projets.
Consolider : une fois que vous avez expérimenté une nouvelle routine, un nouveau rituel et que cela vous convient, restez-y attentive pour l’installer dans le temps.
Bref, on peut trouver un équilibre entre des gestes, des activités, des repères qui structurent la journée et libèrent l’esprit et une présence au monde dans l’instant car chaque jour est différent.
Pépites
Toujours beaucoup de podcasts, ceux de France Culture souvent : le Book Club, les Midis de Culture, Affaires Culturelles, A Voix Nue selon l’invité.e, … Et d’autres : Sur le Grill d’Ecotable, le Goût de M, L’art de l’attention (mentionné plus haut), Et Sinon, …
Côté lecture, j’ai été bouleversée par le livre de Marceline Loridan-Ivens, Ma vie balagan. Je connaissais un peu l’histoire de cette femme cinéaste (son mari documentariste Joris Ivens, son amitié avec Simone Veil) et j’avais acheté ce livre il y a quelque temps sans trop savoir à quoi m’attendre. Marceline Loridan-Ivens y déroule sa vie extraordinaire, en revenant toujours au moment des camps d’extermination nazis, car il y a toujours quelque chose, un mot, un objet, une pensée qui l’y ramène, et elle dit d’ailleurs qu’elle aura toujours 15 ans, l’âge de la déportation…
Merci pour ce super partage, Ariane, et je suis convaincue du bonheur et de l'apaisement dans la routine. Quelle joie de pouvoir répéter chaque jour ces moments qui nous font du bien, littéralement du bonheur pour moi.
Merci pour ce nouveau fil, qui me fait sourire devant la rigidité des exigences de mon perfectionniste avide de règles et m'apporte un peu de légèreté au cœur