J’échange régulièrement avec Pascale Weeks autour de notre passion commune de l’alimentation. Elle est autrice et éminente représentante des tout premiers temps du blog culinaire français. J’admire toujours la précision et la clarté de ses propositions culinaires et sa curiosité à expérimenter de nouvelles modalités. On a imaginé ensemble des ateliers de cuisine simple et plaisante du quotidien, qui restent pour l’instant en standby (vous pouvez nous contacter si votre organisme/entreprise s’intéresse à ce sujet). Récemment, on a discuté de la question du budget alimentaire et on a eu l’idée d’y consacrer des newsletters conjointes. Ce vendredi, vous pouvez donc lire aussi, gratuitement, la newsletter de Pascale, consacrée plus en détail à la conception de repas à budget raisonnable.
Cela fait longtemps que je suis préoccupée par cette question du coût de l’alimentation. Il y a 11 ans, en mars-avril 2014, j’étais encore un peu naïve concernant le “bien manger” à budget serré et j’avais proposé sur mon blog un “challenge”, suite à un article de Télérama : manger pour 25 euros par semaine, est-ce possible ? Je m’y étais mise avec trois acolytes aux profils différents. J’en avais conclu que ce n’était pas facile mais possible. Ça n’avait bien entendu pas beaucoup de sens : déjà à l'époque, j’avais bien conscience que se discipliner ainsi pendant une semaine n’a strictement rien à voir avec une obligation permanente de faire très attention à son budget alimentaire.
Quelques années plus tard, en 2017, j’ai été conviée à participer à l’émission de Flavie Flament alors sur RTL, sur le thème, “Est-ce si difficile de mieux manger ?”
A cette occasion, en préparant les thèmes que je voulais aborder, j’avais imaginé l’acronyme SVP pour signifier SAVOIR VOULOIR POUVOIR et donner ainsi un aperçu de la complexité du sujet.
Depuis cette date, j’ai le projet d’écrire à ce sujet, SVP : j’ai pris mon temps ! L’avantage quand même, c’est que j’ai continué à réfléchir et m’informer. Comme d’habitude dans cette newsletter, je ne fais qu’effleurer le sujet et je vous renvoie volontiers aux très bons livres de Nora Bouazzouni (Mangez les riches) et de Karine Jacquemart (Les dangers de notre alimentation).
Détaillons un peu ces trois facettes du problème :
SAVOIR
Savoir ce que c’est bien manger, cela vous parait peut-être simple mais finalement pas tant que ça : il y a tellement d’informations contradictoires*, de recommandations pas forcément sourcées scientifiquement. Spontanément, beaucoup de personnes pensent à « il faut manger 5 fruits et légumes » sans réfléchir au reste, « il faut manger équilibré », avec des visions diverses de ce que cela signifie. Elles se disent que c’est mal de manger « gras, salé, sucré » mais sans vraiment conscientiser ce que cela voudrait dire concrètement. Je vois en fait un mix de personnes qui croient savoir, au fil de lectures, de régimes, de conseils nutritionnels, et d’autres qui ne savent pas grand-chose et ne s’intéressent pas au sujet. Davantage de femmes dans la première catégorie et d’hommes dans la deuxième !
Pour moi, de façon globale et schématique, ce serait :
Manger le plus varié possible, que ce soit les catégories d’aliments ou au sein de ces catégories,
Manger majoritairement des aliments bruts qu’on cuisine,
Acheter des aliments les moins transformés possibles,
Manger des aliments de saison,
Aller autant que possible vers du bio/équivalent et du local/français,
Avoir une part végétale majoritaire dans son alimentation.
Manger selon son appétit,
Manger avec plaisir des aliments/des plats qu’on aime.
Le problème de SAVOIR ce que c’est bien manger et de ne pas POUVOIR le faire, crée souvent de la culpabilité.
*Si le sujet vous intéresse, je vous renvoie au Fil d’Ariane sur l’information alimentaire.
VOULOIR
Certaines personnes ne VEULENT pas « bien manger ». Ou ont une définition spécifique du bien manger, basé sur la liberté de manger ce qu’elles aiment, même si c’est a priori non favorable à leur santé. On me racontait récemment l’exemple d’hommes confrontés à des problèmes de santé d’ordre cardio-vasculaire plutôt graves, à qui on proposait de se soigner en limitant sérieusement la viande notamment et qui ont très majoritairement refusé de le faire. Je ne juge pas, chaque personne est libre de disposer de sa santé !
En revanche, beaucoup de personnes VOUDRAIENT bien manger. Elles entendent les messages nutritionnels, elles ont une idée plus ou moins précise de ce que cela signifie. Mais les circonstances rendent cela compliqué. Il est très important de ne pas confondre VOULOIR et POUVOIR. Contrairement à ce qu’on croit quand on juge par exemple que des personnes de catégories peu aisées mangent mal, ce n’est pas forcément qu’elles le VEULENT. Quand on mange industriel, gras, salé, sucré, parfois on le veut car on cherche de la nourriture du réconfort mais souvent, on voudrait aussi manger davantage de fruits et légumes, manger plus sainement mais on ne PEUT pas. Ou difficilement.
POUVOIR
Autour du sujet de POUVOIR bien manger, j’explique régulièrement que ce n’est pas qu’une question d’argent mais aussi de temps, cf mon équation TAQ : Temps Argent Qualité.
Avoir le temps de faire les courses dans des endroits appropriés, avoir le temps de réfléchir à ce qu’on va manger, avoir le temps de cuisiner et celui de développer ses compétences culinaires, etc. Or, il arrive fréquemment quand on n’a pas beaucoup d’argent qu’on n’ait pas non plus beaucoup de temps : étudiants, personnes qui cumulent plusieurs emplois, mères solo, …
POUVOIR bien manger, c’est avoir facilement accès à une nourriture saine. Dans son livre évoqué plus haut, Karine Jacquemart montre combien le chemin du « pouvoir » bien manger est semé d’embûches par le puissant complexe agro-alimentaire.
Je me souviens que lors de ma fameuse expérience, quelqu’un m’avait ainsi objecté que c’était difficile de trouver des fruits et légumes de qualité en banlieue. En effet, le système alimentaire s’est organisé depuis des décennies à la fois pour rendre cela compliqué et pour valoriser les prix bas :
. Environ les ¾ de la nourriture est achetée dans la grande distribution. Et celle-ci promeut des produits de mauvaise qualité nutritionnelle (cf la récente enquête Foodwatch), tout en faisant des marges plus importantes sur les fruits et légumes par exemple. Il est clair que le système agro-alimentaire ne se soucie absolument pas de donner accès à une alimentation saine au plus grand nombre.
. Et ce système agro-alimentaire véhicule depuis des années l’idée que la priorité est de manger pour le moins cher possible. Dans un monde où le revenu du travail est de moins en moins apte à couvrir les besoins et où de nouvelles dépenses sont apparues, le message de moins dépenser pour l’alimentation fait florès, cf d’ailleurs la grande popularité du chantre des prix bas MEL (qui par ailleurs en prétendant se mettre du côté des consommateurs/trices, étrangle les entreprises amont).
Comme le dit Fleur Godart, future épicière à St Ouen avec Fine Fleur, dans une belle interview, « le problème, c’est qu’on nous a fait croire que c’est normal de manger du poulet à 4 euros le kilo ».
Des actions se sont développées pour redonner du POUVOIR aux personnes. Je pense par exemple à l’association VRAC qui donne accès à des produits sains et de qualité à prix abordable dans des quartiers défavorisés : quand la possibilité de bien manger à un coût raisonnable devient accessible, les personnes concernées sont peut-être un peu méfiantes au départ, se demandent si c’est vraiment pour elles, et puis finalement, elles se réjouissent ! Boris Tavernier, qui avait été à l’origine de VRAC est désormais député et milite pour la SSA / Sécurité Sociale de l’Alimentation : ce projet ambitieux, qui est en expérimentation dans plusieurs lieux, nécessiterait de remettre à plat tout le système pour le bien de toutes et tous.
Récemment, d’ailleurs, lors d’un colloque ONAV, un intervenant a inversé la traditionnelle injonction d’un monde de performance (« Quand on veut on peut ») en affirmant au contraire « Quand on peut, on veut » !
Et vous ? Si vous VOULEZ et POUVEZ,
Comment optimiser votre budget alimentaire ?
Imaginons que vous ayez un peu de temps et envie de maîtriser l’argent que vous consacrez à la nourriture. Je vous donne quelques pistes ici. Je ne suis pas vraiment un exemple car je consacre vraiment une part très importante de mon budget à la nourriture car c’est très important pour moi. Ceci-dit, j’y fais davantage attention depuis quelques années et par ailleurs, j’ai toujours regardé les prix, essayé de ne pas gaspiller, …
Conscientiser votre budget
Savez-vous combien vous dépensez pour votre alimentation ? Connaissez-vous le montant de vos courses ? Le voyez-vous évoluer ? Avez-vous une idée du coût des différentes catégories d’aliments ? Regardez-vous les prix au kilo, dans les commerces ou les supermarchés ? Regardez-vous les tickets de caisse ?
Vous organiser et anticiper
Je parle très souvent en consultation de trouver la bonne organisation pour bien manger au quotidien. Trouver un fonctionnement adéquat a des conséquences économiques : si vous avez pensé à vos repas, fait des courses adaptées, que vous avez des repas faciles à préparer, vous serez moins encline à vous tourner par défaut vers le traiteur chinois du coin ou la livraison !
Certes, anticiper, faire des menus, une liste des courses, ça ressemble à des conseils bien connus mais ce n’est pour ça que vous les appliquez ! Je vais répéter encore une fois qu’on est toutes différentes : parmi mes patientes, il y en a qui détestent la contrainte d’anticiper et s’organiser, d’autres qui s’organisent tellement dans d’autres pans de leur vie qu’elles refusent cela pour les repas, d’autres au contraire qui voient combien cela leur convient. On trouve ensemble les modalités les mieux adaptées. Récemment, plusieurs patientes m’ont raconté combien c’était à la fois tranquillisant et économique de prévoir les repas : acheter juste le nécessaire, afficher les menus, préparer les repas prévus sans se poser de questions, se rendre compte qu’on arrive à improviser avec le “fond de frigo”, ne plus gaspiller.
A vous de trouver de trouver le juste degré d’anticipation qui vous convient : faire des courses en avance, réfléchir aux plats de la semaine, préparer quelques basiques, …
Faire le point sur vos besoins
Plusieurs patientes m’ont déjà raconté après s’être observées, qu’elles achetaient souvent trop : pour profiter d’une promo quantitative qui parait attractive, par habitude liée à une famille auparavant plus nombreuse, par peur de manquer. On peut faire le point sur ce qu’on a déjà en stock, faire une liste de courses, se dire qu’il vaut mieux prévoir moins que trop car on aura probablement des restes et/ou on arrivera toujours à se débrouiller
Savoir ce qu’on va manger, avoir des éléments qui dépannent (un plat au congélateur, des conserves qui permettent de créer rapidement une assiette (et que vous aimez) permet à la fois de manger varié, sain sans dépenser trop d’argent.
Savoir aussi précisément ce que vous avez en stock, que ce soit au congélateur ou dans vos placards. Même des produits secs ne sont pas éternels. Outre le fait de ne pas racheter ce que vous avez déjà, vous pouvez imaginer des recettes à partir de ce paquet de riz noir qu’on vous a offert il y a un bon moment.
Trouver un approvisionnement adéquat
Quel type d’approvisionnement est disponible dans votre environnement ? Seulement des hypermarchés ? Avez-vous fait le tour de leur offre ? Est-elle la plus économique ? Y a-t-il de marchés, l’accès à des producteurs en direct ou en circuit court ? Des AMAP ? Des épiceries solidaires ? Des groupements d’achat ? Avez-vous le temps de vous renseigner ? Avez-vous envie de changer vos habitudes ? Avez-vous le sentiment de payer parfois trop cher certains produits ? En parlez-vous autour de vous ?
Avez-vous déjà pensé à pratiquer le troc ? Parfois, je me dis que cela reprendra peut-être une place significative dans un mode qui deviendra plus sobre par nécessité ! Un voisin a un potager et vous, vous faites du pain, échangez-vous vos talents ?!
Fuir les affaires, les promos, les lots…
Cela peut paraître contre-intuitif quand on veut économiser. Pourquoi ne pas profiter des promotions ? Les commerces en proposent fréquemment : 3 pour le prix de 2, le 2e à 50%, etc. Vous croyez faire une bonne affaire mais finalement est-ce vraiment ce dont vous aviez besoin ? Ce produit ou cette quantité ? Est-ce que le magasin n’est pas en train de vous orienter vers un aliment que vous n’aviez pas prévu d’acheter ? Et donc finalement vers une dépense inutile et/ou un produit qui ne vous satisfera pas ?
Moins gaspiller
Tellement de personnes me parlent des légumes achetés le samedi avec de bonnes intentions et qui sont toujours là piteusement le vendredi suivant par manque de temps ou d’énergie pour les cuisiner… Réfléchir à ce que vous allez manger sur la semaine, au nombre de repas chez vous, sans forcément faire un planning détaillé, être réaliste sur le temps dont vous disposez, imaginer plusieurs utilisations d’un aliment si vous l’achetez en quantité, congeler des restes ou les préparer autrement avec la cuisine domino, ne pas vous reposer uniquement sur les produits frais si vous avez un emploi du temps chargé et changeant, …
Privilégier le fait maison
Cuisiner à partir d’aliments bruts de saison, est préférable si vous pouvez. Il y a bien sûr les plats du quotidien mais aussi des à-côtés : faire des bocaux de pickles ou de légumes fermentés faire votre propre granola si vous aimez ça, de la compote maison, des gâteaux simples pour les goûters ou encas, cultiver des herbes aromatiques sur le bord de fenêtre, …. Si vous avez le temps bien sûr, on en revient toujours à mon équation TAQ !
Végétaliser votre assiette
Certes les bons légumes ne sont pas tous très bon marché mais si vous trouvez le bon fournisseur, les achetez de saison, alternez entre les plus économiques et les plus coûteux, il est quand même plus économique de mettre davantage de produits végétaux et moins de produits animaux dans l’assiette. Avoir dans vos placards différentes céréales et légumineuses, sèches ou en bocal/conserve pour un usage plus facile ; avoir des condiments, des épices pour « pimper » votre assiette.
Ainsi, avec des céréales, davantage de légumineuses, des légumes, moins de viande et de poisson et aussi des œufs, un peu de fromages, vous pouvez imaginer de nombreux plats savoureux et pas très coûteux (voir des exemples dans la newsletter de Pascale Weeks). Faire par exemple une tarte aux poireaux (ou champignons ou courgettes, …) ou une salade de lentilles aux crudités de saison peuvent être des plats économiques et délicieux. Vous pouvez aussi vous plonger dans le livre de Lila Djeddi qui propose des recettes végétariennes à prix modéré.
Bref, vous pouvez maîtriser votre budget alimentaire. Mais cela nécessite probablement de l’attention et quelques changements d’habitudes. A vous de décider !
Quelques pépites
La crème de la crème de ce que j’ai lu, vu, écouté….
La joyeuse et dynamique Wanda a lancé récemment son podcast Avec Wanda, qui met en valeur “les gens qui font” dans le domaine de la “food” : au menu déjà, la pâtissière de haut vol Marine (avec laquelle Wanda a par ailleurs imaginé un fort délicieux cookie sans gluten, disponible chez Chambelland, que j’ai eu le plaisir de découvrir en avant-première), Mehdi, chef du restaurant végétarien Maslow et d’autres adresses ; Ali, co-fondateur du grand succès des réseaux sociaux, Le Guide Ultime. J’adore découvrir des parcours singuliers, je suis servie !
En 2025, on célèbre les 50 ans d’un épisode terrible, l’arrivée des “boat people”, des millions de personnes fuyant le Cambodge et le Vietnam. De nombreux événements sont prévus dans ce cadre par la Mairie du 13e arrondissement de Paris. J’ai ainsi découvert via Instagram une vidéo très émouvante du patron du délicieux restaurant Ngoc Xuyen Saigon qui s’est reconnu sur une photo.
Je me régale toujours à écouter de nombreux épisodes de la 20e heure d’Eva Bester, aussi bien quand il s’agit de quelqu’un que j’apprécie beaucoup comme la chanteuse Jeanne Cherhal ou de quelqu’un que je découvre comme l’écrivain Grégoire Bouillier.
Sans être une passionnée de la géopolitique, j’ai beaucoup apprécié l’interview en deux parties du journaliste Pierre Haski dans l’excellent podcast Vlan !
J’ai regardé avec intérêt un documentaire Arte sur le film Thelma & Louise, qui m’avait beaucoup marquée à sa sortie.
Merci beaucoup Ariane pour ton regard sur le sujet. Nos deux newsletters sont très complémentaires 😊
Bonjour, cette question me rappelle une émission que j'avais vue il y a plusieurs années (sur TV du Québec). A cette époque, toute les émissions sur les "locavores" m'intriguaient et j'adorais voir ce qui se faisait. Le reportage montrait le travail d'une association de quartier qui faisait cuisiner les personnes selon les promos du moment (un genre de rendez-vous "atelier cuisine en commun"). A partir du prospectus du supermarché du coin, elles établissaient un genre de menu pour inciter à cuisiner maison et santé tout en profitant des "spéciales" du moment... J'avais trouvé ça plutôt bien, car elles étaient en contact avec les personnes touchées par le manque de moyens, et elles se mettaient à leur niveau...