Récemment, j’ai participé à divers colloques, rencontres et conversations qui m’ont fait réfléchir à la question de l’information alimentaire. Cela fait un moment que je me préoccupe du sujet et, plus globalement, de la vaste et complexe question de l’information et de sa fiabilité. L’information nous submerge (cf le titre du dernier opus de Bruno Patino) et on peut vraiment se demander comment faire le tri. Je dois dire que l’essor des “fake news” ou des “vérités alternatives” me terrifie. S’informer de façon fiable devient de plus en plus complexe. Sans compter, désormais, le poids croissant de l’intelligence artificielle…
Concernant l’alimentation, il en va de même. La masse des informations sur l’alimentation, les aliments, les nutriments, comment manger, a explosé depuis l’essor d’internet. Et, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut faire ses recommandations, donner son avis, proposer sa vision du bien manger. D’ailleurs, j’entends en permanence des patientes affirmer avec conviction “il ne faut pas manger ça à tel moment”, “tel aliment fait grossir” : elles ont forcément lu/entendu ces informations quelque part. Est-ce que, vous-même, vous arrivez à vous y retrouver ?
Quelle est votre façon de vous informer ?
Quand on parle d’information alimentaire, d’abord, que cherchez-vous en général ? Savoir comment bien manger ? Des informations sur certains aliments ou produits ? Les bienfaits de tel aliment ? Une alimentation source d’énergie ? C’est quoi une alimentation bonne pour la santé ? Comment manger pour perdre du poids ? Qu’est-ce qu’il faut manger le matin ou le soir ? Comme je l’évoquais, je constate, quand j’écoute mes patientes, qu’elles sont souvent très informées, voire surinformées d’informations nutritionnelles plus ou moins fiables.
Pourquoi cherchez-vous des informations alimentaires ? Pour orienter vos achats ? Par curiosité car l’alimentation vous intéresse ? Parce que vous n’avez plus confiance dans vos habitudes ? Parce que vous avez peur de certains produits ? Parce que vous avez l’impression que vous pourriez mieux manger et vous avez besoin d’orientations ? Parce qu’on vous a dit que vous devriez faire ci ou ça ?
Où et comment cherchez-vous ? Est-ce que vous en parlez autour de vous ? Avec vos proches ? Avec un professionnel ? Est-ce que vous cherchez sur internet ? Est-ce que vous ciblez votre recherche ? Est-ce que vous faites attention aux sites que vous consultez, à leur sérieux, leurs références ? Par exemple, si vous vous posez la question “Peut-on manger du fromage le soir sans grossir ?” ou “A quel moment vaut-il mieux manger du fromage" ?, comment allez-vous chercher la réponse ? Cherchez-vous au hasard via google et c’est les premiers résultats qui compteront ? Ou auprès d’institutions publiques, scientifiques, de recherche ? Ou auprès de professionnels ?…. Avez-vous des sites de référence ?
Auprès de qui vous informez-vous ? A qui faites-vous confiance ? Est-ce que ce sont ceux et celles qui parlent le plus fort, qui sont le plus médiatiques, qui ont le plus d’abonné.e.s sur Instagram, qui ont la bonne information pour vous ? Récemment, on a ainsi beaucoup revu le “fabuleux Dr Frédéric S” qui vous promet de vivre jusqu’à 150 ans et qui sait comment vous devez manger pour y arriver. Par exemple, ne faire qu’un repas par jour même si vous avez faim. Lui faites-vous confiance ? Faites-vous confiance aux influenceuses qui vous montrent “une journée dans mon assiette” ? Je n’ai rien contre la possibilité pour chacune de s’exprimer, au contraire, mais certaines personnes abusent de la crédulité, des peurs, des rêves de leur public.
Le site L’Extracteur “debunke” les informations fantaisistes
Malheureusement, les étiquettes qui donnaient naguère toute confiance ne sont plus valables. On a vu que des médecins pouvaient s’affronter avec des avis diamétralement opposés sans la rigueur scientifique nécessaire… Que les organismes publics subissent les assauts des lobbies des industriels pour orienter leurs discours…
Au global, avez-vous l’impression d’y passer beaucoup de temps ? De trouver facilement ou pas les informations que vous cherchez ? Ou ressentez-vous plutôt, terme souvent employé, une vaste “cacophonie nutritionnelle” avec une masse d’injonctions contradictoires ?
Comment s’y retrouver ?
Ce n’est pas simple. Mais je vais essayer d’esquisser quelques pistes, propositions, limites.
Acceptez de ne pas tout savoir
L’alimentation est un domaine vaste et complexe. La recherche la plus pointue n’a pas encore fait le tour des effets des aliments, de leurs interactions, de la façon dont ils agissent dans notre organisme et notre système digestif. Comme je l’ai déjà expliqué, il est très compliqué de mettre en place des études sérieuses sur les effets durables de l’alimentation sur notre santé : il faudrait suivre pendant des années un groupe avec une certaine alimentation et un groupe témoin, Personne n’a le temps ni le budget pour de telles études. Et notre façon de manger existe dans un environnement complexe avec des activités, du stress, de la pollution plus ou moins grande, …
J’assistais récemment à la Journée Annuelle de Nutrition et un chercheur présentait ses travaux sur la digestion des amidons. Il y a différentes sortes d’amidon (composant des féculents, de la banane, …) et la façon dont ils sont digérés est extrêmement complexe et on est loin d’en avoir fait le tour. Il signalait ainsi que la notion d’index glycémique (largement popularisée via les régimes à IG bas) était trop simple pour décrire la réalité.
L’information vraiment fiable, prouvée, est rare. Ainsi, je participais cette semaine à une réunion du réseau St Louis Sein, un réseau de professionnels de santé spécialistes du cancer du sein. Le Dr Marc Espié, oncologue, a analysé toutes les études existantes, nombreuses, sur l'impact de certains aliments, nutriments, régimes alimentaires sur les risques de cancer du sein. Sa conclusion a été qu’il y avait peu de certitudes, avec quelques indications : un régime de type méditerranéen est probablement bénéfique, contrairement aux préparations industrielles.
Essayez de moins vous informer
Cela va avec le point précédent. Pourquoi charger votre cerveau avec une masse d’informations sur l’alimentation ? N’a-t-il pas mieux à faire ? Peut-être est-il souhaitable de vous désabonner de quelques comptes Instagram qui entretiennent le stress et les interrogations. Essayez peut-être de vous poser moins de questions et de faire plutôt confiance à votre intuition, vos sens, votre goût, votre corps et les messages qu’il envoie. De vous écouter, vous !
Analysez qui parle
Dans la masse d’informations qui nous envahit, la prise de recul est devenue indispensable. Quand vous lisez une information (malgré les points précédents !), essayez de clarifier qui parle. Est-ce un individu, un professionnel, une institution, un organisme public ? Est-ce une personne qui a une compétence sur le sujet ? Une chercheuse ou un chercheur ? Une personne professionnelle de l’alimentation ? Dans quel sous-domaine ? Une personne qui raconte sa propre expérience ?
Est-ce que la personne affirme des idées simplistes ? Est-ce qu’elle se base sur des faits, sur des recherches ? Est-ce qu’elle fait preuve d’humilité et reconnait ses limites ? Est-ce qu’elle essaie de vous convaincre à tout prix qu’elle a raison ? Si je reprends l’exemple du Dr Frédéric S, dont je vous recommande l’analyse par l’excellent site l’Extracteur, dès qu’on creuse un peu, on voit que tout ce qu’il affirme est soit des évidences de bon sens soit des affirmations ne relevant d’aucun sérieux scientifique.
Méfiez-vous du succès !
Justement, les personnes les plus visibles sont-elles les plus sérieuses ? Souvent, elles proposent des solutions simplistes alors que la question de l’alimentation est extrêmement complexe. Malheureusement, sur les réseaux sociaux, les algorithmes donnent la prime à ce qui fait le buzz en cherchant le clash, à ce qui est visible médiatiquement, au simplisme et non à la nuance et à la complexité. Cela ne veut pas dire que des gens sérieux ne peuvent pas avoir une forte audience, mais ce n’est pas toujours le cas…
Trouvez des tiers de confiance
Comme vous ne pouvez pas vous informer sur tout mais que vous avez parfois besoin ou envie d’avoir des éléments de compréhension, il est souhaitable de trouver des personnes en qui vous ayez confiance pour débroussailler le sujet. Un médecin, une chercheuse, un.e journaliste, … selon les sujets. De la même façon que vous pouvez décider de faire vos courses dans tel commerce en qui vous avez confiance et qui vous évite de vous questionner. La clé est vraiment la confiance.
Rappelez-vous que vous êtes unique !
Parmi les informations qui circulent sur l’alimentation, il y a beaucoup de conseils universels, d’injonctions à manger comme ci ou comme ça qui seraient adaptées à tout le monde. Alors que vous êtes toutes différentes, avec votre appétit, votre goût, votre mode de vie, … Donc fuyez les injonctions générales ! Ou, en tout cas, ne les prenez pas pour argent comptant mais juste, éventuellement quelque chose à expérimenter pour vérifier si cela vous convient à vous.
Vivez ici et maintenant
Quand je parle d’équilibre nutritionnel avec les patientes et de varier leur alimentation, je ne parle pas prioritairement de santé à long terme (dans le sens d’éviter des maladies) car, je le répète, les déterminants sont complexes. J’évoque plutôt la forme et l’énergie, qu’on peut ressentir à court terme en changeant son alimentation et donc avoir des bienfaits immédiats.
Bref, faites-vous plaisir en cuisinant, en mangeant de tout, en sentant ce qui vous fait du bien et ne vous prenez pas trop la tête !
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Sur le blog L’Art de manger
J’ai publié quelques billets et espère maintenir une certaine fréquence sans pression excessive.
. J’ai parlé des durées indiquées dans les livres de cuisine, du temps de cuisiner et de redonner une valeur à ce temps.
. J’ai évoqué les patientes qui culpabilisent de ne pas avoir fait les exercices proposés.
. Je continue tranquillement à faire transcrire quelques épisodes de BCBT Le Podcast. J’avais fait faire il y a quelques mois celle de l’épisode sur la ménopause, j’ai trainé et je n’imaginais pas que ce sujet allait soudain devenir d’actualité grâce au livre de cuisine d’Elvira Masson et Jennifer Hart-Smith et à d’autres publications.
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Pépites
J’ai assisté à une rencontre HEC avec Bruno Patino, PDG d’Arte, que j’évoquais plus haut et c’était absolument passionnant sur les médias, la culture, l’information. ON peut écouter/voir une de ses interviews récentes sur France Inter.
J’ai une nouvelle fois beaucoup aimé un livre de Ryoko Sekiguchi, l’Appel des Odeurs, qui évoque ce sujet avec l’originalité et la sensibilité habituelle de cette autrice. Je vous recommande son interview dans les Midis de Culture.
En bonne passionnée de Japon, j’apprécie le podcast de Kanpai! qui alterne des informations pratiques ou actualités et des entretiens avec des personnes en lien avec le Japon. j’ai beaucoup aimé la rencontre avec Clément, devenu moine zen dont j’avais déjà évoqué ici le livre Entre Nuage et Eau.
J’ai été touchée aussi par l’Affaire Midori de la journaliste Karyn Nishimura, son premier roman. Son histoire terrible illustre les efforts faits par la journaliste pour faire réfléchir sur la peine de mort, encore fréquente au Japon, et, réagissant à la mort de Robert Badinter, elle soupirait : quand y aura-t-il un Badinter japonais ?
Bonjour Ariane, merci pr cette newsletter et vos recommandations culturelles que j'apprécie beaucoup !!
Comme d'habitude, vous analysez fort justement une tendance actuelle.
Moi, je me suis desabonnée de tous les comptes "diététiques " sauf du vôtre.
J'avais justement l'impression d'un ras le bol ...
J'applique surtout un grand principe manger légumes et fruits "local" et de saison, ne pas consommer de produits transformés, j'essaye de limiter la viande mais j'habite en face d'un boucher excellent...alors je suis tentée !
J'ai la chance d'habiter le sud est après Paris, et j'adore marcher ds ces merveilleux paysages qui sont ceux de mon enfance c'est une autre nourriture sans oublier un zeste de culture qui me nourrit aussi (ça me fait penser à cette réflexion très méprisante de notre PR...)
Par contre, je regrette de ne pas avoir trouvé d'offres de cuisine asiatique de qualité ds ma région, alors qu'à Paris habitant le 13ieme j'étais comblée...
J'attends déjà avec impatience votre prochaine newsletter
Merci!!
Bonjour Ariane, merci pour ce texte ! C'est une approche qui m'avait paru un peu étrange à l'époque, parce qu'entourée d'injonctions, de modes et de tendances de toutes sortes ... nous rappeler qu'on est unique, que notre corps a sa propre sagesse et que c'est à chacun de nous de nous écouter et d'expérimenter ce qui nous convient ... Un grand merci !