J’avais pensé écrire une newsletter en lien avec l’actualité qui suscite beaucoup d’inquiétudes en moi. Pour parler d’ouverture et de tolérance par exemple. Car de même qu’on devrait accepter tous les corps y compris les plus gros, on devrait accepter l’autre dans toutes ses dimensions, ses choix, ses particularités. J’ai décidé d’un autre sujet et ne suis pas là pour vous faire la morale mais j’espère sincèrement que vous voterez dimanche en votre âme et conscience pour des personnes qui véhiculent ces principes.
On est foutus, on mange trop ! chantait Alain Souchon il y a une quarantaine d’années déjà. Dans ce numéro de début d’été, je ne vais pas vraiment approfondir un thème précis mais plutôt dresser un panorama transversal de ce vaste sujet justement, pourquoi on mange trop.
Manger trop est le fait de nombreuses personnes, plus ou moins volontairement. Je vais ici synthétiser cela autour de 10 raisons qui font trop manger, sans prétendre à l’exhaustivité, et en simplifiant des comportements complexes. Je ne juge pas ces comportements, je vous donne des pistes d’explication, qui peut-être vous seront utiles si vous vous sentez concernée ou quelqu’un de votre entourage.
Par ailleurs, le “trop” ne se réfère pas à des quantités spécifiques mais à l’excès au regard des besoins physiologiques de chaque individu. Enfin, les aspects abordés se recoupent et s’entremêlent souvent.
Il y en a qui ont trait aux habitudes, à l’éducation. …
L’éducation et la famille
C’est en général dans sa famille qu’on commence à manger. Et les habitudes familiales peuvent impacter durablement les comportements. Il y a ainsi des familles où la nourriture est très abondante, généreuse, les assiettes bien garnies, indépendamment de l’appétit réel des convives. Je vois régulièrement des personnes me raconter que, dans leur famille, on est “des bons vivants” et que cela passe par la quantité. Ces patientes veulent certes perdre du poids mais cela les met parfois en difficulté, car elles ressentent une sorte de trahison de leurs proches.
Il y a aussi l’idée persistante que le bon appétit d’un petit enfant est signe de bonne santé. A l’inverse, l’enfant qui mange peu inquiète, et il arrive qu’on le force à manger plus.
Dans beaucoup de familles, s’est aussi transmise de génération en génération, l’idée qu’on ne gaspille pas la nourriture (parce qu’on en a manqué à une époque ou parce que d’autres en manquent) et il convient donc de finir son assiette. Cela part d’intentions louables mais le résultat est souvent une déconnexion des besoins physiologiques conduisant régulièrement à manger un peu trop. Finir son assiette peut être une norme plus ou moins autoritaire ou implicite. Récemment, une patiente me confiait, un peu désemparée, que son fils se forçait à finir son assiette en pensant faire plaisir à se parents…
La façon de manger
De nombreuses personnes mangent machinalement, sans faire attention, en pensant à autre chose ou en faisant autre chose. Il peut s’agir du repas ou d’une envie de manger hors repas (biscuits, chips, amandes, …). Sans un minimum d’attention, c’est le contenant, l’assiette, le paquet qui va signaler d’arrêter, ou alors la sensation physique de ventre vraiment trop plein.
Le fait de manger vite peut produire le même résultat : on mange rapidement ce qu’on a prévu et on risque de ne pas sentir le moment d’arrêter en cours de repas.
Par ailleurs, le fait de ne pas profiter du repas de ne pas mettre une part d’attention à ce qui se passe en bouche, prive du plaisir qu’on pourrait ressentir et peut donner envie, soit de se resservir, soit de manger autre chose pour avoir un plaisir gustatif.
Le type d’alimentation
Par habitude, méconnaissance, manque de temps, il peut arriver qu’on ait une alimentation pauvre nutritionnellement mais riche en calories. Aucun aliment n’est mauvais en soi mais si on mange de façon régulière des aliments très caloriques et peu rassasiants, on aura besoin d’en manger beaucoup et cela produira un excès global. Exemple, si vous mangez du pain de mie industriel et de la confiture le matin, au lieu de vous rassasier, vous avez faim deux heures après, et donc vous remangez quelque chose.
Des évolutions personnelles
La diminution des dépenses
De nombreuses personnes pratiquent diverses activités physiques, sportives, dans leur enfance et adolescence, parfois à un niveau compétition avec une fréquence importante de séances. Elles se dépensent énormément et mangent “tout ce qu’elles veulent” sans se poser de questions. Il arrive souvent qu’elles continuent à manger ainsi, pensant que c’est leur métabolisme naturel, alors que, à un moment ou à un autre (études, début de vie professionnelle..), elles diminuent de façon très significative leur dépense physique. Il se crée alors un net déséquilibre entre les apports et les dépenses.
Il y a aussi des personnes qui se sont habituées à manger les mêmes quantités toute leur vie, alors que le métabolisme de base évolue progressivement et diminue un peu, donc nos besoins alimentaires aussi.
Le changement de situation
Il arrive régulièrement, quand je demande à des patientes de me raconter leur histoire avec l’alimentation et le poids, qu’elles mentionnent qu’elles ont pris du poids en se mettant en couple : davantage de restaurants, de “bons petits plats”, et aussi peu à peu l’habitude d’augmenter les portions, de servir et de manger la même quantité que le conjoint. Certaines personnes trouvent égalitaire de manger pareil que l’autre, sans se référer au fait que les besoins peuvent être différents.
A l’inverse, des personnes qui mangeaient raisonnablement en famille par souci de l’équilibre alimentaire, vont peut-être se lâcher en retrouvant des repas solo.
D’autres sont liés à des éléments nutritionnels
Les régimes et la restriction
Dans l’immense majorité des cas, une période de restriction ou de régime où l’on vous a dit quoi manger, en quelle quantité, où l’on vous a interdit des aliments, est suivie d’une période de craquage, de rattrapage, où vous remangez tout ce dont vous vous êtes sentie privée. Eventuellement en grande quantité pour répondre à la frustration accumulée.
Même après avoir abandonné les régimes depuis un certain temps, il arrive que des personnes se sentent toujours “obligées” de manger un paquet de biscuits ou une tablette de chocolat en entier pour les faire disparaître, en restant que l’idée que ces aliments ne devraient pas faire partie de leur quotidien.
De plus, des régimes répétés vont ralentir le métabolisme. Si vous continuez à manger comme avant les régimes, même sans gros excès, cela sera peut-être trop au regard de vos “nouveaux” besoins.
Les règles nutritionnelles strictes
Si vous consultez une personne professionnelle de la nutrition classique, elle va souvent vous fixer des règles concernant des repas équilibrés avec des quantités fixées et une composition obligée, par exemple viande/légumes/féculents/laitage/fruit. Pleine de bonnes résolutions, vous suivez ce programme et vous allez tout manger, indépendamment de votre appétit. Encore récemment, une personne me racontait qu’elle avait eu ce type de menu fixé par une autre diététicienne et elle se forçait à chaque repas à finir tous les composants alors qu’elle n’avait plus faim.
Beaucoup de personnes ont entendu que c’est “mal” de sauter un repas et vont toujours maintenir leur rythme de 3 repas par jour par exemple. Alors que, si elles ont fait un repas très copieux, elles n’ont clairement pas ou peu faim au repas suivanr.
La peur d’avoir faim
La peur d’avoir faim peut avoir différentes causes, des restrictions, une règle rigide de ne pas manger entre les repas, des souvenirs d’avoir eu très faim, … Pour l’éviter et ne pas risquer de grignoter (c’est mal disent les publicités !), il peut arriver qu’on mange trop aux repas pour tenir à tout prix jusqu’au repas suivant et éviter de ressentir la faim.
Enfin, il y a des raisons émotionnelles qui font trop manger
Le manger émotionnel
La nourriture peut parfois jouer un rôle de réconfort et c’est tout à fait normal. Mais si cela devient très fréquent par difficulté d’accueillir ses émotions, cela peut conduire à des excès. On peut aussi manger pas ennui, parce qu’on est fatiguée, pour décompresser, pour se récompenser après une dure journée… Si on mange par exemple une quantité significative en rentrant du travail et qu’on ne régule pas en mangeant moins au dîner, on aura au global trop mangé.
Cela s’imbrique avec les croyances nutritionnelles. Si on mange un aliment “interdit” pour se réconforter, on va en manger beaucoup car on se dit qu’on refera attention le lendemain. Ou vous entrez dans un cercle vicieux de culpabilité où vous vous dites “foutu pour foutu” et vous continuez à manger beaucoup.
Les moments de convivialité
Les moments de convivialité (amicaux, familiaux) peuvent avoir plusieurs impacts :
le manque d’attention, déjà évoqué, lié à l’animation des échanges, au fait d’être absorbée par les autres,
la difficulté à dire non quand une autre personne propose de se resservir, de manger un dessert, … ou l’envie de faire plaisir.
l’envie de manger comme les autres pour ne pas se faire remarquer,
ne pas vouloir apparaître comme la personne qui “fait attention” et ainsi ne aps oser dire que vous n’avez plus faim.
Bien sûr, vous avez le droit de trop manger, cela vous regarde. Mais si vous pensez que c’est un problème, dites-vous que ce n’est pas une fatalité et que cela peut changer. Dans mon travail, il est souvent question de se connecter à ses sensations alimentaires et ensuite, justement, de comprendre tout ce qui fait qu’on ne les respecte pas et on travaille à faire évoluer cela au rythme de la personne.
Pépites
Le hasard fait que j’ai écouté beaucoup d’excellents podcasts ce mois-ci. Quelques-uns d’entre eux :
Un épisode d’Un Podcast à Soi donnant un éclairage sur le développement de thérapies féministes,
Des parcours divers :
Lumi Hachiya, une des deux initiatrices de la délicieuse pâtisserie Rayonnance, dans le podcast Poing Fort,
L’artiste Claire Tabouret, que je ne connaissais que de nom, dans le toujours excellent Goût de M,
Le chef Clotaire Poirier, qui a un itinéraire assez incroyable, que je découvre complètement via le podcast Chefs (il est arrivé 2e de Top Chef),
Le couple Camille Guillaud et Alessandro Candido du restaurant Candide que j’aime beaucoup, dans le podcast A Poële,
La rediffusion d’une série A Voix Nue avec l’éditeur Eric Hazan, qui est décédé récemment.
Dans le podcast Vlan, deux épisodes en lien avec l’actualité : Raphaël Llorca, chercheur de la Fondation Jean Jaurès (avec une 2e partie) et Elise Goldfarb qui parle de l’importance (et la difficulté actuelle) de la nuance, sujet qui m’est cher.
Image Pixabay Golska Malgoska
Merci pour ces réflexions! J’ai appris à m’autoriser des moments où je mange trop parce que cela m’aide à réguler des émotions difficiles. J’ai identifié ces situations, et quand elles se présentent, j’essaie de ne pas trop culpabiliser. Comme elles ne se répètent pas trop souvent, il n’y a pas de conséquences au niveau du poids. Par ailleurs, j’aime bien me sentir légère suite à un « excès », la régulation se fait donc spontanément.
Un autre facteur qui fait que nous mangeons globalement trop, c’est l’industrie agroalimentaire: taille des portions, choix quasi infini de produits aux emballages alléchants, publicité… tout est pensé pour nous faire manger. Plus je deviens consciente de mon alimentation (notamment en cuisinant des produits bruts), plus je réalise à quel point notre société a mal à son alimentation…
Je mange trop! J'ai besoin de me remplir , je n'arrive pas à laisser qq chose ds mon.assiette même si je n'ai plus faim!!
On dirait que j'ai souffert de la faim., ce qui bien sûr n'est pas du tout vrai !
Dans mon 1er commentaire (qui a disparu) je soulignais combien la situation politique du pays m'affectait!
Je vis ds une région majoritairement Rn , sous le soleil avec des emplois , des transports en commun, des hôpitaux et des médecins
Une offre culturelle quasiment gratuite grâce au département ...
J'ai du mal à comprendre...
Merci encore pour vos écrits toujours très éclairante!!