Glucose révolution, oui ou non ?
J'ai lu le best-seller Glucose Révolution et vous donne mon avis
Tout d'abord, je vous souhaite une très bonne année avec la forme et l'envie qui vous permettront d'aller vers les projets qui vous tiennent à coeur.
En ce début d'année, il ne s'agit surtout pas de parler de résolutions qui durent à peine quelques jours. J'ai eu envie, un peu après tout le monde, de vous parler d'un phénomène de l'édition, le livre Glucose Révolution, de Jessie Inchauspé, car on m’a beaucoup questionnée à son sujet. D'après ce que j'ai lu, ce livre s'est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires dans le monde et de nombreuses “influenceuses” affirment combien cela a été une révélation qui les a transformées. Je vais aborder deux aspects : tout d'abord, je me suis demandé pourquoi ce livre cartonne. Ensuite, je détaille ce que je peux reprocher à son contenu (et ce n'est pas de la jalousie d'autrice qui a vendu moins de 5000 exemplaires de son propre livre, je vous assure !!!)
Pourquoi Glucose Révolution cartonne ?
La vulgarisation scientifique
Le succès de Glucose Revolution peut rappeler celui, énorme aussi, qu'avait eu il y a quelques années le Charme discret de l'intestin. De la même façon, on a l'impression que l'autrice a compilé une masse d’informations scientifiques, qui ne sont pas forcément accessibles à tous, et elle met à disposition du grand public la synthèse de ces études. En rendant ces données accessibles, avec, ici, des mots simples, des explications claires, des métaphores, des dessins. Il me semble qu’une bonne partie du public est désireuse de mieux comprendre certaines notions scientifiques, notamment ce qui concerne le fonctionnement du corps humain. Je me demande si le monde médical ne sous-estime pas ce besoin de compréhension. Mais il n’est pas toujours facile d’obtenir des réponses claires/d’oser poser des questions à ses propres médecins.
Le partage d’une expérience personnelle
Cette masse de données scientifiques s’entremêle avec les expériences individuelles de l’autrice. Cela présente certes des limites auxquelles je reviendrai mais il est clair que la plupart des lectrices et lecteurs aiment lire un texte à la première personne. L’autrice qui témoigne de son parcours, ses difficutés, ses expériences, ses découvertes, ses limites donne plus de poids à un livre que si cela était un simple essai scientifique. Cela apporte une dimension émotionnelle qui facilite l’appropriation du texte.
La promesse de minceur
Que ce soit dans le sous-titre dès la couverture (“la formule scientifique efficace pour perdre du poids”), à différents moments du livre, dans tous les récits de témoignages, la question de la perte de poids est omniprésente. Or, on sait bien que l’obsession de la minceur, la quête perpétuelle de la silhouette rêvée (même pour des personnes de poids “normal”), sont des invariants de notre société. C’est donc un levier d’attractivité certain.
La promesse de forme et santé
Tout le livre s’attache à montrer les méfaits d’une mauvaise gestion de la glycémie et, à l’inverse, combien (cela apparaît dans tous les témoignages) suivre les conseils de “glucose goddess” permet de retrouver un maximum d’énergie, un bon sommeil, une belle peau, de sortir ou se protéger de toutes sortes de pathologies. Ca fait forcément rêver, non ?
Des propositions simples
Les conseils formulés par Jessie Inchauspé paraissent à première vue très simples à suivre. Donc, il s’agit sans doute pour beaucoup de personnes d’une démarche plus facile à adopter qu’un régime (l’autrice rejette d’ailleurs les régimes restrictifs). Comme elle l’indique, pas de comptage de calories, pas véritablement d’interdits, certaines règles quasiment de bon sens qui peuvent rappeler des pratiques naguère usitées, comme commencer par une entrée de légumes ou faire une marche digestive...
Bref, on peut cerner pourquoi ça marche.
Pourquoi le contenu me gêne cependant
Différents aspects du livre me paraissent problématiques malgré les caractéristiques qui font son succès (ou de leur fait même…) :
Propager encore et toujours l’obsession de la minceur
Même si l’autrice s’abrite derrière une promesse santé, elle n’omet pas de promettre encore et toujours une perte de poids car elle sait que c’est une attente universelle… Dans chaque exemple qu’elle donne, quel que soit le souci ou l’inconfort de départ et la règle “glucose goddess” qui semble y répondre, elle prend soin de mentionner la perte de poids associée… A ce propos, je vous recommande la lecture d’un excellent article sur le blog Stripfood, évoquant aussi ce sujet. On retrouve la même ambiguité dans la promotion du jeûne intermittent : sous couvert de prendre de soin de sa santé, il est toujours proposé (et attendu en priorité) de perdre du poids…
Faire comme si c’était une révolution
A la lecture, on a un peu l’impression que Jessie Inchauspé a fait la découverte du siècle. Or, ces questions de glycémie, de rôle des aliments sucrés, d’hyperglycémie réactionnelle, d’index glycémique des aliments (des dizaines de livres sur les aliments à IG bas ou sur l’abandon du sucre…) sont des sujets bien connus que moi-même, sans être chercheuse ou médecin, j’aborde très souvent avec mes patientes et même parfois sur mon blog. Par exemple à propos des petits déjeuners ou encas sucrés, leur impact, les solutions alternatives… En s’observant, en expérimentant, en s’écoutant, on comprend ce qui crée un coup de barre, donne anormalement faim, crée une hypoglycémie, etc. ou, au contraire, ce qui fonctionne pour soi. Je reconnais toutefois, comme je le notais plus haut, le talent de l’autrice pour la vulgarisation.
Tout ramener à la glycémie et faire peur
J’ai été choquée par la responsabilité à mon sens très exagérée conférée aux problèmes de glycémie. Les dérèglements de la glycémie seraient source de tous les maux : en vrac, fatigue, dépression, surpoids, cancer, Alzheimer, maladies cardiaques, SOPK, … On dirait une sorte de démarche marketing : on vous fait peur en vous listant toutes les maladies que vous risquez, donc vous vous précipitez pour suivre les conseils du livre pour éviter tout ça…
Par ailleurs, ramener toutes les envies de manger du sucré à une question de pic de glucose me paraît bien excessif. Certes, on nous explique que Bernadette qui se jetait sur le chocolat arrête totalement quand elle suit les conseils de Glucose Goddess. Mais peut-on généraliser ? Je doute fort que toutes les envies de manger émotionnelles soient une question de glucose, ce serait un peu trop simple…
L’autrice reconnaît d’ailleurs que, si elle parle autant du glucose, c’est parce qu’elle peut le mesurer facilement, ce qui n’est pas le cas d’autres variables qui jouent très probablement un rôle aussi…
Entretenir une confusion entre science et expérience personnelle
Partout, l’autrice cherche la crédibilité de la science : “la formule scientifique efficace” en couv, sa formation, son travail, toutes les études référencées en fin de livre. Mais, sous couvert de ces études, elle se réfère principalement à la validation de sa propre étude du glucose. Ou à des études qui vont dans son sens. Comme l’explique le Professeur Boris Hansel (endocrinologue et nutritionniste à l’Hôpital Bichat), beaucoup des conseils proposés ne sont pas plus efficaces que d’autres ni clairement validés en tant que tels. Et il explique, notamment dans l’article de Que Choisir (pour lequel j’ai aussi été interviewée), que c’est une manipulation fréquente (et fort regrettable) dans la recherche de ne sélectionner/mener que des études qui vont dans le sens de ce qu’on a décidé de démontrer…
Faire comme si la France, c’était les Etats-Unis
Jessie Inchauspé vit et travaille aux Etats-Unis, a recueilli et partage des données d’études américaines, qu’il s’agisse du sucre, de l’obésité, du diabète… Parfois, la traduction a transposé les données en France mais assez peu. Les études mentionnées en référence sont quasi-exclusivement américaines. J’y vois une exagération au regard de la situation française : certes, la situation de la France n’est pas idéale en termes d’alimentation et de surpoids/obésité mais elle est loin de la situation américaine. A titre d’exemple, il n’y a certainement pas ici 80% de la population qui ait une glycémie déréglée…
Délivrer les même conseils pour tout le monde
Nous sommes toutes et tous uniques, je le répète sans cesse. Des conseils généraux ne peuvent pas convenir à tout le monde. Le paradoxe, c’est que Jessie Inchauspé part de ses propres mesures de taux de glucose pour délivrer ses “recettes”. Pourquoi cela conviendrait-il à tout le monde ?! D’ailleurs, étonnant, en toute fin du livre, elle montre la courbe de glucose d’une amie qui a mangé exactement comme elle et dont le résultat est totalement différent. Elle est futée et anticipe donc les critiques éventuelles en affirmant elle-même qu'on est tous différents. Tout en proposant à tout le monde de faire ce qui a marché pour elle ou pour quelques individus…
Propager l’utilisation des capteurs de glucose
En mesurant en permanence son taux de glucose par un capteur de glucose qu’on place sous la peau, en décrivant largement, schémas à l’appui les résultats qu’elle tire de ces mesures, en insistant sur l’importance de ce taux de glucose dans de multiples aspects de la santé, l’autrice crée le désir de s’équiper de ce type de capteur. Or, d’une part, comme l’ont relevé des professionnels de santé, ces capteurs devraient être réservés aux personnes souffrant de diabète qui en ont réellement besoin (il semble qu’un afflux de demandes suite au livre ait perturbé les stocks). D’autre part, inciter à un contrôle permanent du taux de glucose, pouvant devenir obsessionnel, cela renforce une tendance, déjà forte dans notre société, à tout mesurer, à avoir besoin de référentiels externes, pour évaluer son état plutôt que se fier à des signaux internes (évidemment, je ne remets pas en cause, tous les examens et analyses qui fournissent des informations qu’on ne peut pas ressentir).
Contrarier l’idée d’une alimentation plaisir et intuitive
Désolée, pas plus que je ne mange des pâtes PUIS des brocolis (ce qui est censé créer un pic de glucose, mais pas chez moi, puisqu’on parle de réaction personnelle !), je n’ai envie de manger des brocolis PUIS des pâtes, ce que recommande le livre . Je mange des pâtes AVEC des brocolis, des bouchées associant pâte ET brocoli ! Et Jessie Inchauspé ne me dit pas ce que cette pratique-là donne sur son taux de glucose ! Le plaisir de manger est, pour beaucoup de personnes, dans des bouchées composées associant plusieurs aliments. Elle confesse d’ailleurs que, parfois, même elle a du mal à dissocier les aliments. Vous vous voyer dissocier une paëlla ?! Où est le plaisir d’une assiette composée si on doit manger d’abord les légumes PUIS l’éventuelle source de protéine, PUIS, en dernier, les féculents ? Bien sûr, on peut se contraindre à pratiquer ainsi au début mais, comme dans un régime, a-t-on envie de conserver cette façon de manger dans la durée ?
Faire croire que ce serait la seule bonne façon de mincir
Bizarrement, j’accompagne depuis 15 ans des personnes qui, souvent, me consultent pour perdre du poids. Celles qui acceptent de prendre le temps de changer leurs habitudes alimentaires en comprenant ce qui les a fait grossir, retrouvent leur juste poids. Elles se reconnectent à leurs sensations alimentaires, s’écoutent, expérimentent, travaillent sur le manger émotionnel, ne se privent pas, comprennent quel est leur rythme alimentaire. Et pourtant, je ne les ai pas obligées à manger de façon dissociée en commençant forcément par des légumes ou à boire une cuillère de vinaigre…
Bref, si vous avez ce livre, gardez votre oeil critique. Sentez-vous libre d’expérimenter certains des conseils proposés si cela vous dit mais ne vous forcez surtout pas si cela ne vous convient pas.
Toutes les informations sur mes activités sur www.arianegrumbach.com
Je suis en train de livre le livre, cent ans après tout le monde. J'ai quasiment terminé et je suis d'accord avec ton analyse. J'ai tout de même appris beaucoup de choses. Je vais peut être effectuer des micro changements qui me semblent logiques et faciles à mettre en oeuvre mais j'avoue que je ne suis pas convaincue par le vinaigre à boire 😂
Merci Ariane de montrer qu'il y a encore place à l'esprit critique. Et puis surtouquelque chose me frappe dans cette diabolisation du glucose (et de la montée d'insuline), c'est qu'on en a aussi besoin. Certes, un repas équilibré et qualitatif permet à l'insuline de faire son job mais en caricaturant un peu, on a l'impression qu'il ne faudrait plus que l'insuline monte (grâce en partie aux sucres) or c'est aussi elle qui nous permet d'être nourri et avec plaisir c'est encore mieux :-)