J’adore le pain. Et il me passionne. Si vous me suivez sur les réseaux sociaux, vous m’aurez peut-être vue partir à l’autre bout de Paris pour une miche des plus vertueuses et délicieuses. Ou profiter d’escapades dans d’autres villes pour y découvrir des boulangeries.
Je crois que j’ai toujours aimé le pain. Ma mère ne devait pas être indifférente à sa qualité gustative : je ne l’ai jamais vue acheter le pain à l’adresse la plus proche, elle se rendait chaque jour dans la même boulangerie, nettement plus lointaine. Comme beaucoup, nous mangions de la baguette. On ne se posait alors aucune question sur la qualité de la farine, la digestibilité du pain… J’ai aussi un souvenir marquant d’un séjour linguistique en Irlande vers 13-14 ans où j’avais savouré avec délice un pain de seigle rustique cuit au feu de bois. Au fil du temps, j’ai continué à apprécier le pain et, selon le lieu où j’habitais, à me mettre en quête de celui qui me siérait gustativement parlant. J’ai découvert les pains aux fruits secs, aux graines, …
Mais c’est en devenant diététicienne que cet intérêt pour le pain s’est terriblement élargi, diversifié, complexifié. Par la magie du twitter d’alors et de notre voisinage montmartrois, j’ai rencontré, il y a une douzaine d’années, un très grand passionné, l’auteur Jean-Philippe de Tonnac (qui a notamment coordonné le Dictionnaire Universel du Pain). Je me suis intéressée au pain au levain et à ses propriétés. Il m’a mis en relation avec Roland Feuillas, ingénieur qui avait changé de vie pour s’installer à Cucugnan, se passionner pour la connaissance des blés anciens et redonner une noblesse au pain. Après avoir goûté son pain, j’étais partie plusieurs jours échanger avec lui et le voir travailler. J’ai progressivement approfondi mes connaissances pour traiter en particulier trois thématiques dans mon travail : défaire la croyance bien ancrée que le pain ferait grossir ; clarifier les affirmations multiples circulant autour du gluten, du blé, de la digestibilité des pains ; aider chaque personne qui en ressent le besoin à trouver le bon pain pour soi.
Le pain et vous
Le pain dispose auprès de nombreuses personnes, d’une image dégradée. Longtemps aliment central de la nourriture française, il est devenu dans les dernières décennies, un aliment délaissé, négligé, craint, voire rejeté. Et dont la qualité s’est beaucoup dégradée jusqu’à ces dernière années.
Qu’en est-il pour vous ? Quelles mangeuse de pain êtes-vous ? Epanouie, restreinte, gourmande, inquiète… ? Il y a la mangeuse compulsive qui connaît une difficulté à s’arrêter, la personne qui ne sait quitter une assiette sans la saucer jusqu’à la dernière goutte, la femme qui a éradiqué cet aliment de sa maison, celle qui ne le digère plus du tout et voyage avec son pain sans gluten, etc. Les adeptes de la baguette ou du pain de campagne. Les fans du croustillant ou du mou. Pour aller au-delà de ces aspects sur lesquels je vais revenir, il existe aussi une Anthropologie des mangeurs de pain dont j’avais résumé la typologie, qui mériterait peut-être une actualisation...
Du pain sans peur
Comme c’est le cas pour d’autres aliments, il y a confusion entre l’aliment et la quantité. Le pain en soi ne fait pas grossir. Mais c’est une question de quantité ! De non-écoute de votre appétit. C’est l’excès (répété) qui peut agir sur le poids, comme pour tout aliment*. Je vois des personnes qui développent une relation ambivalente à cet aliment : elles l’adorent mais en mangent trop, donc se mettent à le maudire. Parfois, une patiente me raconte qu’en rentrant chez elle, elle mange la quasi-totalité de la baguette qui était destinée au dîner familial. D’autres vident la corbeille de pain à table de façon machinale. Beaucoup préfèrent alors supprimer le pain de leur alimentation, ou le limiter à une tartine le matin, de peur de ne pas pouvoir se maîtriser. Dans l’accompagnement que je propose, on imagine ensemble la place que la personne peut/veut redonner au pain. En travaillant sur la souplesse (ne pas se bloquer sur un moment ou une quantité imposés). En réapprenant à savourer cet aliment sans culpabilité, en prenant son temps, en y mettant un peu d’attention, en écoutant son appétit. Et en trouvant le pain qui nous convient, en répondant à des critères multiples. Si la personne aime cet aliment bien sûr. Personne n’est obligé de manger du pain !
*Cependant, il y a des pains plus ou moins rassasiants (voir ci-dessous). Si vous choisissez un pain blanc à la farine très raffinée (pain de mie industriel par exemple), vous aurez probablement du mal à vous rassasier et vous risquez d’en manger beaucoup.
Il y a pain et pain
Le pain, c’est simple et très compliqué à la fois. C’est de la farine, de l’eau, un peu de sel et un agent levant : levain (fait de farine et d’eau) ou levure. Mais pas n’importe lesquels, pas n’importe comment. Chaque étape compte pour produire du « bon pain » : un pain bon pour le goût mais aussi la digestibilité, le rassasiement, la conservation, la santé... Chaque étape compte.
Au commencement, il y a la culture du blé. Depuis quelques décennies, à l’exception de productions minoritaires, on a sélectionné et standardisé des blés pour leur résistance et leur qualité panifiable, leur capacité à donner un gluten solide, et pas prioritairement pour leur qualité digestible. Au contraire même ! On trouve cependant de plus en plus de meuniers et donc des boulangers qui travaillent à partir de blés anciens ou de « blés de population », non standardisés, qui pourront donner un pain digeste.
Ensuite, la façon dont le blé est moulu joue un rôle. Une farine moulue sur meule de pierre, conserve l’intégralité du germe de blé et ses nutriments. La mouture automatisée, la plus fréquente aujourd’hui, broie plus « violemment » les épis de blé et fournit une farine appauvrie.
A la boulangerie, l’utilisation de levain ou de levure, le pétrissage, la fermentation, la cuisson auront un impact sur le pain. Ainsi, l’usage de levain joue un rôle non seulement dans les arômes mais aussi dans la conservation et la digestibilité du pain (par “pré-dégradation” du gluten). Une cuisson suffisante donne une croûte de bonne épaisseur qui participe au plaisir gustatif par son croustillant et ses arômes mais aussi à la conservation en préservant l’humidité de la mie. Bref, de multiples facteurs vont coucourir à la qualité du pain, sans chercher la perfection !
Choisir son pain
Je constate que l’historique de fréquentation de diététiciennes un peu strictes a souvent un impact sur le pain choisi et sa consommation. Le pain complet est fréquemment idéalisé. Je ne le critique pas en soi (attention, le choisir bio puisque l’enveloppe externe du grain peut être le réceptacle de pesticides) mais j’observe que c’est souvent un choix raisonnable plutôt qu’un choix de plaisir gustatif. Et cela se fait parfois au détriment du confort digestif. Certaines personnes se croient obligées de manger du pain complet alors qu’elles ont du mal à le digérer.
Un pain savoureux
Quand vous mangez, il est toujours important de prendre en compte la dimension plaisir, essentielle pour installer des habitudes dans la durée. Cela vaut aussi pour le pain. Trouvez-vous, achetez-vous, mangez-vous du pain qui vous apporte du plaisir gustatif ? Ou est-ce plutôt l’habitude, la raison, la proximité, le prix, … qui guide vos choix ? Soyez peut-être curieuse de découvrir d’autres pains, de sortir de vos habitudes. Et n’ayez pas peur que manger du bon pain vous en fasse manger plus. Ayez confiance dans votre capacité à savourer et savoir vous arrêter.
Un pain rassasiant et digeste
Depuis quelques années, on entend beaucoup parler du gluten, un des composants de la transformation en pain, et de la difficulté de digérer le pain à cause de lui. Il y a eu beaucoup de confusion entre l’intolérance au gluten (maladie coeliaque, très pénible à vivre) et ce qu’on a appelé une hyper-sensensibilité au gluten. Beaucoup de personnes peuvent avoir des difficultés de digestion du pain sans avoir une vraie intolérance. Et cette sensibilité n’empêche pas de manger du pain, soit du pain d’autres céréale, soit du pain au levain, plus souvent digeste. J’avais abordé ce sujet sur mon blog il y a quelques années : les difficultés naissent souvent de la rencontre d’un intestin sensible et d’un pain peu digeste.
Si vous pensez avoir des difficultés à digére le pain, ce n’est pas forcément une question de gluten il peut s’agir d’un autre composant du blé, les fructanes, faisant partie des Fodmaps. Pour pouvoir manger du pain sans inconfort, vous pouvez expérimenter différentes choses : éviter le pain complet, moins digeste si on a un intestin sensible ; diminuer la quantité de votre pain pour cerner ce qui est supportable ; prendre soin de bien mâcher ; tester du pain au levain (pur levain sans levure) ; vous assurer que ce sont des farines de blés non standardisés ; essayer le petit épeautre, … jusqu’à identifier ce qui vous convient.
Par ailleurs, le caractère rassasiant du pain est propre à chaque personne : même si un pain au levain ou un pain complet sont plus rassasiants en général, manger un moreceau de baguette par exemple va avoir un effet très variable selon les personnes. C’est toujours en expérimentant que vous trouverez ce qui vous convient.
Un pain vertueux
La notion de pain vertueux est très subjective. Vous pouvez trouver votre propre définition. Cela peut prendre en compte la qualité et le mode de culture des blés et donc de la farine, la façon dont elle est moulue, le travail au levain et la fermentation… Mais cela ne doit pas être exclusif. La perfection n’existe pas ! Je suis plutôt en phase avec le projet de carte Pain Naturel initiée par Thomas Grunberg et Elliot Lepers (pas encore actualisée).
Un pain disponible
La théorie, c’est bien mais ce n’est pas la vraie vie... Vous avez envie de bon pain. Mais, en pratique, qu’est-ce qui existe près de chez vous ? Il y a cette carte ci-dessus et puis surtout vos recherches, vos tests, le bouche à oreille, questionner un restaurant quand le pain y est excellent. Parfois, vous trouvez un pain qui vous satisfait mais la boulangerie est loin, nécessite un détour… Je suggère souvent, selon votre consommation, de trancher/congeler un bon pain pour en avoir toujours à disposition. Et puis, il y a le prix. J’avais assisté il y a deux ans à une passionnante conférence autour du prix du pain et de la possible fracture entre les populations que cela peut créer. En effet, l’écart de prix entre une baguette de supermarché et un pain au levain dans un quartir branché parisien est vraiment conséquent... Mais je crois que, si on redonne de la valeur au pain, une place d’aliment rassasiant, plus central, qui se conserve longtemps, on devrait pouvoir y consacrer un peu plus d’argent en étant dans une logique de rapport qualité-prix et non uniquement centrée sur le moins cher (pour chaque personne dans la mesure de ses possibilités bien sûr). En essayant de trier entre les démarches vertueuses où le coût recouvre des salaires honnêtes, des farines de qualité, … et des boulangeries surfant sur la mode du pain au levain, davantage orientées vers la rentabilité, aux prix parfois délirants.
Pour ma part, j’alterne le plus souvent entre la proximité d’Humphris, épicerie mais aussi mini-boulangerie attentive à la qualité des farines, et du pain au levain déniché au travers de mes balades dans Paris (Atelier P1, le Bricheton, Eléments, Pajol, Poilâne, Shinya Pain Montmartre, Ten Belles et d’autres). Quand j’achète du pain, je le tranche, j’en garde pour la consommation immédiate et je congèle le reste.
Un pain maison ?
Vous avez vu comme moi fleurir les pains au levain maison durant le confinement. J’ai moi-même fait quelques essais, laissé tomber, recommencé. Régulièrement, je m’y remets mais trop épisodiquement pour espérer vraiment progresser ! Pratiquer permet cependant de cerner l’exigence, les gestes et les aléas du métier. Et vous, avez-vous pratiqué ou pratiquez-vous le pain au levain ? Ou envie de vous y mettre ?
Si vous vous intéressez au pain de façon générale, que vous voulez mieux comprendre les enjeux autour de cet aliment mais aussi sa confection, il y a le merveilleux livre de Farah Keram, Faire son pain, aussi beau qu’intéressant, qui vient de sortir.
Pépites d’avril
Difficile de faire un tri dans tout ce que j’ai vu, lu, écouté, fait… en avril.
J’ai beaucoup aimé écouter l’éditeur Frédéric Martin dans le podcast Bookmakers et dans un autre style, mais entrepreneur aussi, le parcours de Jean-Charles Carrarini, co-fondateur de Rose Bakery dans le podcast Journal Urbain.
J’ai été passionnée par le livre d’Elise Costa, Les nuits que l’on choisit, où elle évoque son parcours et sa vie de chroniqueuse judiciaire.
Et j’ai adoré retrouver pendant un grand week-end la mer en Bretagne, à Concarneau et Douarnenez.
Mes activités
En avril, j’ai animé une conférence via Zoom pour le personnel d’une entreprise bancaire, autour du thème “Bien manger au travail”. J’en animerai prochainement une du même type dans une autre société. J’ai déjà fait (avant le Covid) différentes interventions en entreprise : ce que j’apprécie toujours, c’est à la fois de faire passer des messages et de cerner les préoccupations alimentaires de personnes souvent peu susceptibles de consulter une diététicienne.
Je prévois une “masterclass” en juin sur le chemin vers une alimentation plus végétale et vous donnerai plus d’informations prochainement.
Toutes les informations sur www.arianegrumbach.com
Merci Ariane! Votre lettre est formidable et est une source d'infos et de pistes que j'aime beaucoup!!
Bonne journée!!
Bonjour Ariane, je vous remercie de vos articles très complets et instructifs.
Depuis toujours j'aime le pain. Mon grand-père en faisait et je suivais toutes les étapes de sa réalisation jusqu'à sa cuisson dans le four à pain, au feu de bois. Ce doit être de là que me vient mon intérêt particulier et mon goût pour le pain, son odeur, sa croûte craquante, le partage dont il est un des symboles. C'est de lui que vient le mot copain. Bref, je suis une mangeuse de bon pain et je peux faire des kilomètres pour me rendre dans une boulangerie où le pain est bon. Depuis 2014, j'ai créé un levain et je fais du pain chaque semaine. Je n'achète plus de pain. Ce fut tout un cheminement. Cependant, je suis une mangeuse inquiète, pour qui la relation avec la nourriture a toujours été source de tourments. Je mange cependant du pain chaque jour. Comme vous le dites, il ne fait pas grossir, c'est une question de quantité. Merci encore de vos articles et de toutes vos informations qui sont aussi des mines pour apprendre.