C’est l’histoire de Juliette.
Ce fut une petite fille gourmande, remuante et sportive. A l’adolescence, elle fait moins de sport, s’arrondit un peu, rien d’important. Mais le médecin dit de « faire attention », les parents emplissent ses assiettes de légumes et beaucoup moins de pâtes, rationnent les gâteaux et le chocolat. Elle est révoltée, se gave de biscuits en cachette ou chez les copines. Au lieu de mincir, elle commence à vraiment grossir cette fois.
Etudiante, vivant seule, elle se lâche, enfin libre de manger ce qu’elle veut. Elle rencontre un garçon, ils vivent quelque temps « d’amour et d’eau fraîche », mangent frugalement car ils ont peu d’argent, elle retrouve une silhouette correspondant aux standards, se sent bien dans son corps mais n’y pense pas trop. Cette relation cesse, elle commence à travailler, mange sans se poser de questions, rencontre son futur mari. Elle travaille beaucoup, c’est elle qui prépare les repas car il ne sait pas cuisiner, ils vont parfois au restaurant ou se font livrer une pizza. Elle mange comme lui, prend un peu de poids, n’apprécie pas du tout qu’il lui en fasse la remarque. Ils ont deux enfants de façon rapprochée, elle travaille beaucoup mais doit s’occuper quasiment seule non seulement des enfants mais de la maison, des repas. Car lui voyage souvent et entend se reposer le week-end. En semaine, une fois les enfants couchés, épuisée, elle s’installe devant la télé ou une série en grignotant des biscuits et du chocolat. Ca devient régulier, elle grossit, s’habille basiquement, n’a plus trop envie de faire attention à elle. Elle n’a ni temps ni énergie pour le moindre sport. Les remarques déplaisantes de son mari s’accumulent, il lui dit de faire attention, lui fait un commentaire acerbe si elle prend un dessert. Ils se supportent de moins en moins, elle mange de plus en plus dès qu’il a le dos tourné.
Ils finissent par se séparer, elle est soulagée mais quand même déprimée avec un sentiment d’échec, perd l’appétit et beaucoup de poids. Elle continue à s’occuper beaucoup de ses enfants. Deux ans après, elle rencontre un autre homme, ils s’installent rapidement ensemble. Lui sait cuisiner et prépare de bons plats, elle remange avec appétit, autant que lui, se ressert fréquemment pour prolonger les bons moments à table. Elle ne mange plus en cachette. En revanche, ils prennent l’habitude de regarder des séries tous les deux le soir et quand il sort une tablette de chocolat, elle accepte volontiers de l’accompagner.
Entre les repas copieux, le manque d’activité, les grignotages tardifs, elle reprend beaucoup de poids et ça la perturbe. Son nouveau conjoint a beau lui répéter qu’il l’aime globalement, quelle que soit sa silhouette, elle se sent mal dans son corps, ne veut plus se montrer dévêtue mais se sent en même temps incapable de se priver. Elle ne sait plus quoi faire, se désespère, mais, heureusement, une amie lui parle de moi !
Bref, une petite histoire romancée à partir de multiples récits de patientes pour vous montrer que le couple et l’alimentation interagissent beaucoup. Je vais me centrer sur les couples hétérosexuels (je manque de vision quantitative sur les couples de même sexe, mais j’ai l’impression que le rapport au corps et à l’alimentation n’y est pas exactement le même).
Couple et alimentation : ce qui se joue
L’évolution du poids quand on est en couple
Comme je l’avais écrit il y a longtemps sur mon blog, il y a différentes situations quand on passe de la vie de célibataire à celle en couple. Des personnes qui trouvaient dans la nourriture une compensation émotionnelle à la solitude vont peut-être moins manger si elles vivent à deux. A l’inverse, la vie de couple peut transformer l’alimentation des femmes de diverses façons et leur faire prendre du poids (qui n’est pas forcément un problème évidemment si vous le vivez bien !) :
Vous avez davantage de sorties, notamment au restaurant,
Vous faites des repas plus structurés donc plus copieux,
Vous mangez les mêmes quantités que votre conjoint, plus importantes qu’auparavant,
Votre conjoint mange de façon plus riche, grasse, … et vous mangez comme lui par facilité
Il vous entraîne dans ses habitudes de grignotage car c’est plus sympa à deux,
Vous avez moins de temps pour faire du sport.
Les cannelloni de Monsieur, c’est moi qui les réclame !
Le conjoint obsédé par la minceur de votre silhouette
Il vous dit de faire attention, vous fait des remarques dès que vous mangez du chocolat ou reprenez un morceau de pain,
Si vous avez eu le même regard sur vous enfant, ça vous rappelle de mauvais souvenirs,
Vous vous sentiez surveillée et commencez à manger en cachette,
Ca vous met en colère et vous donne envie de faire des excès par esprit de rébellion,
Cela crée des dissensions dans le couple,
Vous vous mettez au régime pour lui plaire, avec les effets rebond bien connus.
Parallèlement, il est possible que lui-même prenne du poids mais il affirme que « ce n’est pas pareil »…
Une charge des repas inégalement répartie
Je suis ô combien chanceuse d’avoir un compagnon qui cuisine très bien et prend en charge une part majoritaire (environ 2/3) des repas pris en commun le soir et le week-end. Ça ne se passe pas comme ça dans la majorité des couples d’après non seulement les récits de mes patientes mais aussi les statistiques. Il y a la charge des repas, la charge mentale associée, le temps passé à différentes tâches connexes. En général, votre conjoint ne fait pas rien, mais souvent, vous devez le solliciter, lui dire quoi faire, que cela concerne :
Les courses. Avec parfois un écart entre la liste de courses souhaitée et le résultat, soit des oublis, soit de larges surplus. Ou pas de liste et des courses fantaisistes car le conjoint n’a pas vraiment la vision de ce qui serait nécessaire à une semaine de repas.
Le choix des repas, la réflexion sur ce que vous allez manger ensemble, qui représente une charge mentale majoritairement dévolue à la femme. L’homme est plus susceptible d’improviser, de décider au dernier moment voire de proposer de se faire livrer s’il a la flemme.
La cuisine : les compétences des hommes en matière de cuisine sont très variables. Cela va de à peu près aucune à part cuire des pâtes à un répertoire réel mais répétitif ou trop compliqué pour la semaine. Je me souviens ainsi d’une personne dont le conjoint insistait pour préparer les repas (dénigrant même les compétences culinaires de sa femme) mais y passait des heures, d’où un diner vraiment tardif à un moment où elle n’avait même plus vraiment faim. Certains hommes occupent la cuisine le week-end ou quand il y a des invités, ce qi est une double peine pour la femme : non seulement elle a en charge les repas du quotidien mais c’est lui qui va être complimenté !
La vaisselle me parait souvent être prise en charge par la personne qui a été la moins active sur le reste.
Des préférences et habitudes distinctes
Ce n’est pas parce qu’on s’accorde globalement qu’on a les mêmes goûts alimentaires, liés à notre éducation, notre histoire alimentaire, notre tempérament….
Sans tomber dans les stéréotypes, de nombreux hommes aiment la viande ou les féculents davantage que les femmes, qui sont davantage socialisées à faire attention, à manger des légumes pour maîtriser leur poids, … Les hommes sont moins préoccupés que les femmes à avoir une alimentation durable. Je vois régulièrement des femmes qui me racontent préparer deux repas différents parce qu’elles n’auraient pas envie de manger la même chose que leur conjoint. Est-ce qu’il s’agit de préférences réelles ou de peur de grossir ? En tant que femme, vous rejetez peut-être parfois les féculents ou la cuisine de votre conjoint par peur d’un excès calorique. Je me souviens par exemple d’une femme qui mangeait une salade pour perdre du poids et lorgnait sur les pâtes de son conjoint. Pourquoi ne pas manger des pâtes ET des légumes ? Souvent, ceci-dit, vous aimez réellement les légumes ou avez envie d’un dîner léger et cela vient en contradiction avec les besoins/envies de votre conjoint. Je suggère souvent de préparer un socle de repas commun par souci de temps passé et sur cette base, que vous puissiez décider de la quantité et de la répartition des différents mets.
Les goûts de chacun peuvent être différents, on peut aimer plus ou moins telle nourriture asiatique, tel épice. Ils peuvent aussi évoluer au fil du temps. L’envie de manger moins de viande par exemple avance-t-elle au même rythme chez deux conjoints ? Quel rôle joue l’envie de faire plaisir à l’autre ? Avez-vous l’impression de manger ce qui vous fait vraiment plaisir ?
Quand je prépare une tarte Tatin, c’est un plaisir partagé
Je vois aussi de nombreuses femmes dont les conjoints ont un certain nombre de croyances nutritionnelles ou habitudes installées qu’ils cherchent à imposer dans le couple : « on doit finir son assiette », « il faut faire des repas équilibrés », « pas question de manger du sucre en fin de repas », « le jeûne intermittent est la bonne façon de commencer la journée », etc. Quand une femme concernée me consulte, a envie de s’autonomiser et de s’écouter, elle se trouve parfois en « conflit » avec un conjoint qui reste sur ses convictions rigides et refuse d’écouter ce que lui raconte sa femme même s’il n’a aucune connaissance nutritionnelle !
Des appétits et rythmes différents
Nous sommes des êtres uniques et nous n’avons forcément pas toutes et tous le même appétit. Nos besoins énergétiques, notre faim, notre rythme de repas sont personnels : il n’y a pas de raison que cela soit totalement semblable à ceux de votre conjoint. Peut-être vous êtes-vous mise à l’imiter, peu à peu, sans trop y penser ou pour partager des moments. Je vois ainsi des patientes qui ont commencé à petit-déjeuner pour accompagner leur compagnon alors qu’elles ne le faisaient jamais auparavant et n’ont pas spécialement faim. Ou elles attendent un conjoint qui rentre tard et grignotent pour calmer leur faim en attendant le diner (le contraire existe aussi parfois !).
Cette question de rythmes différents existe ainsi en semaine et j’aide les personnes à trouver comment concilier leurs besoins et les contraintes de la vie en commun. Cela devient encore plus crucial en vacances. L’un fait la grasse matinée, l’autre est matinale, l’une a besoin de manger peu et souvent, l’autre pourrait se contenter d’un repas par jour, …Parfois, vous êtes à l’hôtel, il y a un copieux buffet, vous mangez peu comme d’habitude mais votre conjoint se lâche. Ensuite, il n’a pas du tout faim au moment du déjeuner mais vous, si ! Est-ce que vous avez gain de chose pour déjeuner ou essayez à tout prix de tenir et craquez au moment du goûter ?! Je me souviens de nos voyages au Japon : quand nous séjournions dans un ryokan (auberge), nous avions un superbe petit déjeuner avec poisson, omelette ou œuf, riz, soupe miso, diverses préparations de légumes. Je n’avais pas faim ou très peu au déjeuner mais Monsieur avait envie/besoin de manger. On trouvait un compromis en faisant un stop dans une boulangerie ou une superette.
Comment est-ce pour vous ?
Vous reconnaissez certaines situations ? Avez-vous envie d’en sortir ?
D’abord, prenez du recul et comprenez ce qui se passe, comment ça s’est installé. Evaluez ce qui vous pèse, vous ennuie, vous contrarie. Ou pas. Prenez conscience de ce que vous pouvez changer relativement facilement et des évolutions qui demanderaient vraiment trop d’énergie. Acceptez qu’il n’y a pas de perfection alimentaire, que parfois déléguer peut être reposant.
Il me semble qu’il y a un équilibre à trouver entre une écoute et une affirmation de vos besoins, envies, préférences et un nécessaire et juste compromis quand on veut vivre à deux et partager sereinement les repas.
Je suis Ariane Grumbach, diététicienne féministe et gourmande qui vous aide à faire la paix avec la nourriture et avec votre corps, en prenant en compte de façon personnalisée votre mode de vie. J’ai de la disponibilité pour de nouvelles patientes et nouveaux patients (à Paris ou en visio) et je peux aussi vous recevoir en couple.
Une très belle newsletter comme habituellement. Merci Ariane de parler de cette influence des habitudes de l autre conjoint sur les habitudes alimentaires du couple - famille avec répercussion possible sur le poids. La grande question est de pouvoir en prendre conscience pour regarder si ça convient à notre faim du moment . Pour ma part je n ai pas souvent cette disponibilité de présence prise par le rythme quotidien. Et c est plus difficile quand il y a des plats gras et appétissants sur la table ☺️
Je me retrouve totalement dans ton article Ariane et je le trouve vraiment très intéressant.