Il y a quelques années, j’avais été interviewée sur mon parcours pour le podcast La Petite Voix. A la fin, Herveline me demandait si j’étais heureuse. J’avais répondu en toute honnêteté que j’étais très heureuse dans ma vie mais que c’était cependant difficile de ressentir un bonheur complet dans un monde où les difficultés et les injustices abondent. En y repensant ces jours-ci, je réalise que cela n’a fait qu’empirer grandement. Je suis toujours très heureuse dans ma vie personnelle et professionnelle, et je suis une personne plutôt positive et optimiste. Toutefois, je sens désormais que tout ce qui nous environne pèse bien davantage sur mon état émotionnel qu’il y a quelques années. Comment pourrait-il en être autrement quand on pense aux perspectives climatiques et phénomènes déjà extrêmes, aux innombrables injustices, inégalités, stigmatisations, violences de toutes sortes notamment celles subies par les femmes, aux guerres, au délitement des services publics, à la difficulté de pouvoir échanger avec des points de vue nuancés, aux fake news, à la lenteur des changements nécessaires, etc. etc.
Je ne suis clairement pas la seule à ressentir cela si j’en crois des échanges à la fois avec plusieurs amies et avec certaines patientes. J’ai pour habitude de tirer avec ces dernières le fil de la pelote de ce qui les fait manger en excès : on a récemment identifié avec quelques-unes que ce sombre contexte créait une sorte de mal-être sous-jacent un peu flou, pas forcément conscient, donnant lieu à une quête de réconfort. Je ne veux surtout pas vous plonger ici un peu plus dans la déprime et je ne ne suis pas non plus une gourou bien-être qui a des solutions magiques dans sa manche. Ceci-dit, j’ai réfléchi à comment essayer de vivre pas trop mal dans un monde qui va, lui, très mal, et je vais vous livrer le fruit de mes réflexions et expériences.
Suivre sa boussole émotionnelle
La première étape essentielle me parait être de pratiquer une écoute régulière de votre état émotionnel. J’évoque souvent le fait de mettre en place un moment de recentrage quotidien sur sa météo intérieure. Cela permet de vous habituer à mieux cerner votre état émotionnel et son évolution. Pratiquer cette écoute fine permet de repérer les émotions que vous ressentez, désagréables (tristesse, angoisse, colère, frustration, …) ou agréables (joie, gaieté, gratitude, …) et d’identifier si leur source est surtout liée au monde qui nous entoure (je n’évoquerai pas ici tous les événements personnels qui peuvent créer des émotions pénibles, c’est un autre sujet).
Une fois ces sources un peu plus claires, on peut se demander comment on peut agir pour minimiser leur impact si elles sont vraiment pesantes.
Faire ce qui est bon pour soi
Accepter de moins s’informer
S’éloigner des sources de stress et inquiétude me paraît être une action de protection nécessaire. A chacune de doser selon sa sensibilité, ses intérêts, ses éventuelles nécessités professionnelles, …
Pour ma part, je ne regarde plus la télé (et donc jamais les chaînes d’information continue), je n’ai plus de poste de télé depuis longtemps, je regarde occasionnellement des émissions choisies sur mon ordinateur. Même parmi celles-ci, je fais dorénavant de plus en plus de tri. Il y a quelques mois, il m’arrivait de regarder par exemple des replays de l’émission C Ce soir qui pouvaient être des sources de réflexion. Mais j’ai constaté que, souvent, les thèmes et les échanges entre invités créait chez moi agacement et frustration, donc j’ai limité cela.
Côté radio, cela fait des années que, par exemple, j’ai abandonné la Matinale de France Inter et ses invités politiques. Je me tourne plutôt vers France Culture où il y a souvent des experts et expertes intéressants, voire de plus en plus FIP pour des musiques très variées.
Je ne considère pas que cela constitue une fuite du monde. D’ailleurs, serait-ce grave ? J’ai parfois envie d’aller plus loin dans l’éloignement de l'information (je le fais en vacances) mais je vois bien que je garde une sorte de curiosité pour l’actualité et continue, bon an mal an, à être relativement informée, que ce soit par la radio, la lecture (non exhaustive) de Libération en ligne, Instagram... En y réfléchissant, je crois qu’une part de mon intérêt pour les médias est liée à une envie/un besoin de mieux comprendre la complexité du monde (notamment en écoutant/lisant des chercheuses et chercheurs).
Il n’est pas évident de trouver le juste équilibre entre garder une présence dans le monde pour échanger avec autrui et se protéger d’informations qui alimentent notre mal-être. La phrase si juste de l’écrivain Romain Gary résonne tellement : “Le juste milieu. Quelque part entre s’en foutre et en crever. Entre s’enfermer à double tour et laisser le monde entier entrer. Ne pas se durcir, mais ne pas se laisser détruire non plus. Très difficile”. Y parvenez-vous ?
Renforcer les sources de plaisir
La vie n’est pas qu’un long fleuve tranquille. Nous pouvons cependant vivre bien si nous maintenons une balance équilibrée entre les sources de plaisir et déplaisir. Cette balance peut facilement se déséquilibrer si on oublie de penser à soi, si on ne fait que travailler, si on pense uniquement à ce qui va mal… Ou quand on se retrouve totalement privée de ses sources de plaisir comme pendant les confinements par exemple : si vous aimiez surtout voyager et sortir avec vos amis, votre moral en avait pris un coup. Si vous ressentez que cette balance penche dangereusement du côté pénible, il est important de vous rajouter des sources de plaisir, faire ce que vous aimez, sans culpabilité.
Identifier ce qui nous fait du bien
Même si nous sommes toutes différentes, avec notre tempérament, notre mode de vie, nos préférences, il est clair que vivre dans un monde de béton, d’écrans, de matériaux artificiels, de virtualité n’est pas ce qui nous convient le mieux. En aidant des patientes à dresser une liste de ce qui leur fait du bien, les recentre, les calme, j’ai identifié cinq domaines, parfois imbriqués :
Le corps
Mettre en mouvement notre corps, pratiquer une activité dont on ressent qu’elle nous fait du bien, en découvrir une nouvelle sans chercher la performance ou la perte de poids, peut nous aider à être moins focalisée sur ce qui agite notre mental. Cela peut être par exemple :
la marche : même si on ne s’arrête pas de penser quand on marche, la mise en mouvement aide à prendre du recul sur ce qui nous agite,
le yoga, les arts martiaux ou toute autre pratique corporelle venue d’Orient : tai chi, qi gong…
la danse, quel que soit le style, même juste bouger chez vous sur une musique entraînante,
la nage en ressentant le plaisir de se mouvoir dans l’eau,
une activité collective, le basket de rue, le badminton, la pétanque pourquoi pas !
ou toute activité où vous bougez votre corps d’une façon que vous aimez, qui vous fait du bien, vous détend, vous absorbe, vous relaxe.
Et aussi répondre à vos besoins de sommeil !
L’usage des mains
Se plonger dans une activité manuelle, s’y absorber, se concentrer sur la matière ou l’outil procure sans aucun doute des bienfaits. Il suffit de regarder l’incroyable développement (en tout cas à Paris) de lieux de pratique de la céramique… On peut penser à
la poterie, la céramique donc,
le tricot, la couture, la broderie
le dessin,
la cuisine, en particulier la confection d’une pâte à pain, à pizza mobilisant les mains directement.
La connexion aux sens
Se reconnecter à nos différents sens permet de s’extraire du mental, de notre cerveau qui passe son temps à mouliner de la pensée plus ou moins utile. C’est par exemple, selon vos préférences :
Allumer une bougie parfumée, faire brûler de l’encens, utiliser des huiles essentielles (avec précaution).
Prendre une douche, se faire un soin de beauté, s’offrir un massage, marcher pieds nus dans l’herbe.
Se mettre en cuisine en étant à l’écoute des odeurs et du toucher.
Ecouter de la musique ou les bruits de la nature.
Plonger dans la beauté d’une exposition, d’un livre d’art.
Le lien à la nature
Je ne vous apprends probablement rien en vous disant que se connecter à la nature fait du bien. Mais on a tendance peut-être à l’oublier quand on vit dans une grande ville. Le dernier avatar de la promotion de ces bienfaits est le “bain de forêt” inspiré de la pratique japonaise Shinrin-yoku. A chacune de trouver les lieux et occasions les mieux appropriés.
Se promener dans la nature, la campagne, une forêt, un parc…
Contempler la mer, le paysage, l’horizon, les nuages…
Jardiner, prendre soin de ses plantes, cultiver un potager…
Pratiquer la cueillette sauvage (en ayant reçu une initiation…)
Le lien aux autres
Se connecter aux autres est un besoin fondamental, qu’il s’agisse de la famille (si on a des relations apaisées avec ses membres), de relations amicales avec lesquelles on peut parler avec sincérité, d’implication dans une association ou toute entité où on a des échanges chaleureux et constructifs, …
Accepter de se distraire
Etre à l’écoute de ses émotions et les accueillir même quand elles sont pénibles n’a pas à être systématique. Sans être dans une fuite régulière, ou une recherche d’anesthésie émotionnelle par l’excès de nourriture, il est absolument normal d’avoir parfois envie de vous distraire de ce qui vous préoccupe, de l’oublier temporairement. En complément de ce que j’ai listé plus haut, avez-vous des distractions qui vous absorbent et vous réjouissent ? Quelques exemples :
L’humour : rire fait du bien évidemment, qu’il s’agisse de rire sur les situations qui nous angoissent (cela a peut-être des limites pour chaque individu) ou sur des détails ou personnages du quotidien. Cela fait une éternité que je ne suis pas allée voir un spectacle d’humoriste mais il y a bien sûr des ressources en ligne. Je ris souvent par exemple aux personnalités campées sur Instagram par Diane Segard. Et il y en tant d’autres.
Les films, les séries, en n’abusant peut-être pas de la consommation d’écrans.
La lecture. Bizarrement, alors qu’on pourrait imaginer que c’est plus distrayant, je n’ai pas envie de lire des romans en ce moment. En ai-je abusé ? Ou cela rejoint-il mon besoin mentionné ci-dessus sur l’envie de mieux comprendre le monde en lisant des essais ?
Les podcasts. Se plonger dans des épopées historiques, des vies de personnalités, des récits divers, bref, des contenus qui nous éloignent de ce qui nous tracasse.
Les jeux solo ou de société, les puzzles, …
Le ménage, le rangement : peut-être pas une distraction mais des activités qui peuvent faire du bien par la satisfaction que leur résultat procure (sans chercher la perfection !)
Agir dans le sens de ce qui compte pour soi
Si vous ressentez qu’agir est essentiel pour vous et que cela vous aide à aller bien, vous pouvez identifier différents types d’actions. Cela peut être la mise en place de rituels comme l’évoque le thérapeute Thierry Janssen dans son dernier livre “Inventer des Rituels Contemporains - Pour vivre dans un monde incertain” : quand on identifie un mal-être, une frustration et qu’on comprend le besoin non rempli, on peut en se recentrant sur son intériorité, identifier un rituel qui ira dans la direction de ce qui compte pour soi. Il donne ainsi l’exemple d’une personne préoccupée par la question écologique qui a mis en place un rituel régulier comprenant notamment le ramassage de déchets plastiques dans divers lieux naturels en y impliquant des amis.
Ne pas négliger les gestes individuels
Certes, de nombreuses décisions relèvent des pouvoirs économiques et politiques. Mais faut-il pour autant négliger les gestes que nous maîtrisons, qu’il s’agisse, si on s’en tient aux questions climatiques, de réduire notre consommation de plastique, manger moins de viande, réfléchir avant de prendre l’avion, conscientiser ses choix de consommation, etc. Trouver une harmonie entre ses convictions et ses actes est réconfortant même si cela peut paraître modeste.
S’engager dans une action collective
Peut-être les pas que vous faites, actions que vous menez individuellement vous frustrent et vous voulez faire davantage. Il y a de multiples mouvements, associations, collectifs, qui agissent sur des sujets qui peuvent vous préoccuper que ce soit la préservation de l’habitabilité de la planète, l’égalité de conditions de vie réelle entre hommes et femmes, la lutte contre les inégalités, l’aide aux personnes en difficulté.... En ne vous oubliant pas, en ne vous épuisant pas.
Peut-être trouverez-vous ici quelques pistes concrètes ou une invitation à ne surtout pas culpabiliser si vous allez bien malgré tout. Au moment de conclure cette newsletter, je tombe sur cette phrase si forte d’Anne Frank étant donné le contexte dans lequel elle a été écrite : “Je ne pense pas à toute la misère, je pense à la beauté qui reste”…
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NB : quand j’ai entamé cette newsletter, j’ai tapé son titre dans Google et ai découvert que le fort prolixe (une centaine de livres…) psychosociologue Gilles Azzopardi avait écrit un livre intitulé “Aller bien dans un monde qui va mal”. Je n’ai pas eu le temps de le consulter.
Pépites de mai
J’ai écouté
Il y a une multitude de podcasts passionnants qui passent dans mes oreilles sur un mois et je ne peux tous les citer. Je retiens en particulier le passionnant podcast de France Inter sur Simone de Beauvoir en 8 épisodes : passionnant non seulement parce qu’il retrace sa vie et son œuvre mais aussi parce qu’il les replace dans le contexte socio-culturello-politique. J’ai beaucoup aimé aussi, sur France Culture, La Série Musicale sur le travail méconu et si essentiel des arrangeurs.
J’ai lu
Avec beaucoup d’intérêt le livre de Camille Teste, Politiser le bien-être. L’autrice, professeure de yoga, montre les dérives du monde du bien-être, que ce soit les fantaisies erratiques du new age, les tentations sectaires ou les appétits capitalistes dévorants et elle réfléchit aux voies possibles vers un bien-être disponible pour toutes et tous, qui soit un outil d’un changement de société. J’étais bien consciente de ces dérives mais il très intéressant d’en avoir une large vision et de réfléchir à des changements profonds. J’ai assisté à une présentation de son livre à la très chouette librairie féministe Un livre et une tasse de thé. J’ai découvert malheureusement que cette librairie connait de sérieuses difficultés et va sans doute lancer un “crowdfunding”. Il me paraît essentiel de soutenir les librairies indépendantes.
J’ai savouré
Des plats délicieux dans des adresses où je retourne régulièrement en compagnie variée. J’ai fait découvrir à Monsieur le Yory Cantine Bar, petite adresse d’inspiration coréenne tenue par un couple sympathique, et j’ai amené des amies chez Mieux, Oinari, Echizen Soba Togo.
Masterclass
En juin, comme promis, je vous propose une Masterclass pour vous aider, si vous le souhaitez, à aller vers une alimentation plus végétale, avec deux dates pour être, j’espère, en phase avec vos disponibilités : les 15 et 17 juin. Inscriptions ici
Bonjour Ariane,
Je suis tout à fait en accord avec cet article (que je vais partager avec mes amis car on ne saurait mieux dire tout cela) et j’ai mis en pratique au fil des années la plupart des pistes que vous évoquez. Cela fait la plus grand bien de les lire. Je vous remercie !
Merci pour cette réflexion riche et inspirante. Tes conseils sont pertinents et ça fait plaisir de lire que l’on peut arrêter de regarder les infos sans culpabiliser. J’ai arrêté le 11 septembre 2001 mais tout le monde ne comprends pas cette décision. Bon week-end