Récemment, deux livres m’ont beaucoup plu et intéressée : l’un, Au travail avec Eric Rohmer, de Victorien Daoût, est un passionnant recueil d’entretiens avec un grand nombre de personnes, de différents métiers, qui ont travaillé avec ce cinéaste dont j’ai beaucoup aimé les films. L’autre est l’autobiographie de la danseuse étoile Aurélie Dupont, N’oublie pas pourquoi tu danses, qui raconte avec beaucoup de sincérité et de précision son parcours de danseuse (où d’ailleurs la question de la silhouette, du rapport au corps, de la pression à mincir sont très présents). Le fait que ces livres traitent de cinéma et de danse m’a amusée et fait réfléchir car ce sont deux vieilles passions plutôt passées.
J’ai adoré le cinéma très jeune, j’ai vu une masse de films anciens et contemporains à partir de l’adolescence, des cycles tardifs de la télé aux cinémas du Quartier Latin. Je voyais plusieurs films par semaine, j’ai fait partie du ciné-club de mon Ecole, … Et puis, peu à peu, avec un emploi du temps différent, d’autres priorités, moins de films qui m’attirent, le prix des billets… j’ai sérieusement diminué ma fréquence (je dois voir un ou deux films par an !) mais je continue à suivre les sorties de loin.
J’ai aussi été passionnée de danse. Après avoir pratiqué la danse classique quelques années sans grand talent, j’ai pris goût aux spectacles de ballet, d’abord emmenée par mes parents puis, jeune adulte, seule, avec un éventail de plus en plus large, classique, moderne, contemporain. J’étais curieuse de découverte et ai, selon les années, cumulé divers abonnements avec l’Opéra Garnier, le Théatre de la Ville, Chaillot, le Centre National de la Danse à Pantin, la Maison des Arts de Créteil, … J’ai vu de multiples spectacles extraordinaires. Et puis, est-ce d’en avoir trop vu, est-ce l’évolution des chorégraphes, est-ce le choix d’un métier plus “nourrissant” me donnant moins envie de sortir ? Toujours est-il que j’ai complètement arrêté les spectacles de danse il y a quelques années.
D’autres centres d’intérêt anciens sont restés (la lecture, le goût de la chanson française par exemple), certains sont apparus, par exemple le Japon, certaines problématiques féministes, …
Et côté goûts alimentaires ?
Je me suis demandée si on pouvait transposer ça à l’alimentation. Nos goûts, nos préférences évoluent-ils ? Est-ce que certains plats ou aliments qu’on adorait nous indiffèrent désormais ? Est-ce que nos goûts ont un socle stable ou se sont-ils vraiment transformés ? Qu’est-ce qui demeure, part, arrive, évolue ? Les goûts de la jeunesse sont-ils éternels ?
Prenons ma propre expérience de mangeuse. J’ai déjà raconté, je crois, qu’on mangeait très bien dans ma famille, des produits frais, souvent locaux, du marché, de la cuisine maison, un peu de traiteur quelquefois. Une cuisine, certes savoureuse, mais assez répétitive, avec un répertoire d’aliments limité. J’en garde le goût de la cuisine maison, un grand plaisir de manger des fruits et des légumes sans contrainte et une faible appétence pour les plats préparés. Concernant les aliments, j’adore toujours la purée d’épinards ou les poêlées de haricots verts tels que les préparait ma mère. Au fil des découvertes, des rencontres, des expériences, j’ai énormément élargi mon éventail alimentaire, j’adore de multiples légumes qu’on ne mangeait pas (par exemple le fenouil ou les aubergines), j’ai une passion pour le riz qui n’existait pas dans la cuisine familiale.
Certains de mes goûts ont vraiment évolué au fil du temps : j’aime beaucoup désormais les lentilles ou les pois chiches, les marrons, la polenta, que je détestais, probablement pour les avoir connus de façon non optimale. J’aime même les choux de Bruxelles quand ils sont bien préparés ! En revanche, certains aliments ne me procurent toujours pas de plaisir gustatif, les olives, la betterave cuite, le maïs… je peux cependant les manger si on m’en sert.
Parallèlement, j’ai constaté au fil du temps que la viande, que l’on mangeait régulièrement, et que j’ai continué un certain temps à manger par habitude, m’apporte assez peu de satisfaction, sauf exception et très petite quantité. J’en mange désormais rarement. Les rillettes que j’ai aimées il y a des années ne me font vraiment plus envie ! Dans un autre registre, certains produits de l’adolescence me paraissent désormais vraiment difficiles à apprécier : les sodas de type Coca, un certain rocher au chocolat industriel, … Une exigence gustative peut ainsi se développer au fil du temps et des expériences, des seuils de perception peuvent changer (on peut s’habituer à manger moins sucré par exemple).
L’élargissement des goûts
Certaines patientes me racontent qu’elles n’aimaient “vraiment rien” quand elles étaient enfants (“rien” = les pâtes et les patates par exemple !) mais que leur répertoire alimentaire s’est élargi progressivement : soit naturellement sans gros effort, soit sous l’influence d’un conjoint, soit par les voyages ou les amis. D’autres sont restées assez rétives à de nombreux aliments même adultes (sans compter les allergies). Parfois, la répulsion peut venir d’une circonstance vécue : être forcée à finir une assiette qu’on n’aime pas du tout ou se retrouver à vomir après avoir mangé un certain aliment peut créer un dégoût durable. Ou on peut se satisfaire d’une certaine monotonie par manque de curiosité pour les aliments.
Les préférences peuvent parfois être biaisées parce ce qu’il FAUT manger. Il me semble que les femmes élargissent davantage leur répertoire d’aliments, mais souvent plutôt par volonté de “manger sain et équilibré”, par injonction à manger des légumes pour leur faible apport calorique ou leur intérêt nutritionnel. Il ne s’agit pas forcément de préférence gustative au départ. Avec diverses conséquences possibles :
ce qui était une contrainte permet la découverte de nouveaux aliments et on y prend finalement plaisir. On les intègre donc à son répertoire durablement.
au contraire, le fait d’avoir mangé beaucoup d’un aliment par contrainte, lors de régimes notamment, peut fâcher durablement avec cet aliment, voire en dégoûter. La pomme, les haricots verts,le fromage blanc : certaines personnes ne peuvent plus les supporter car ils sont associés à trop de répétition.
de façon générale, beaucoup de personnes ne savent pas vraiment dire si elles aiment tel ou tel légume car elles les préparent de façon minimale et ne réfléchissent pas en terme de goût mais en terme de raison diététique.
Les dégoûts provisoires ou durables
Je parlais plus haut des dégoûts liés à des mauvais souvenirs, une consommation excessive, …
Parfois, c’est la pensée sur l’aliment, ou ce qu’on imagine de la façon dont il est produit qui peut créer un dégoût. Pour les aliments issus d’animaux par exemple. Une lecture, une video peut modifier totalement la vision qu”on a d’un aliment au point de rendre sa consommation impossible.
Il y a des dégoûts qui ont des causes sensorielles : on peut rejeter la texture de certains aliments (fibreux, pâteux, visqueux …), leur odeur, par exemple pour certains fromages, leur saveur, par exemple ne pas aimer l’amertume ou l’acidité.
Il y a aussi des dégoûts moins clairs : une amie qui déteste tout ce qui relève du fromage quel qu’il soit ; une jeune femme qui déteste depuis toujours la totalité des fruits à l’exception des fraises.
Les goûts qui changent
Parfois, les goûts évoluent mais on ne s’en rend pas forcément compte sauf quand le contexte le rappelle. Ainsi, des patientes me racontent des séjours dans leur famille où l’on s’évertue à préparer toujours les plats qu’elles aimaient étant beaucoup plus jeunes alors qu’elles auraient maintenant envie d’autre chose.
Il y a aussi les aliments qu’on diabolise dans le cadre de comportements restrictifs. On s’en prive et on idéalise leur goût, le goût de l’interdit. Ce sont parfois des biscuits de l’enfance, des desserts sucrés, … Mais finalement, quand on finit par les re-goûter avec de l’attention au goût réel, bien souvent, la personne est très déçue. Et cela lui permet de banaliser cet aliment, de ne plus en avoir peur.
Bref, il y a le goût réel des aliments et il y a tout ce qu’on projette dessus qui transforme la pure sensation gustative.
Et vous, que gardez-vous des goûts de votre enfance ? Vos préférences alimentaires ont-elles beaucoup évolué ? Par curiosité ou obligation ? Avez-vous des dégoûts clairs ou juste des aliments que vous n’aimez pas ? Aimez-vous en découvrir de nouveaux ?
Pépites
J’ai écouté de nombreux podcasts divers, je retiens par exemple :
une série de LSD France Culture sur le métier de détective (son histoire, ses pratiques, son évolution, la place des femmes, …)
deux épisodes intéressants du podcast Chefs autour des enfants : le sujet des cantines avec notamment la fantastique Ecole Comestible et celui des enfants au restaurant.
deux épisodes du podcast Vlan ! sur un sujet qui me passionne et dont je parle quasiment toujours avec les patientes, le sommeil ! J’étais déjà assez informée sur ce sujet et j’ai quand même appris un certain nombre de choses.
J'ai beaucoup aimé ce concert Arte d’Arthur Teboul et Baptiste Trotignon (à défaut d’aller les voir en live)
J’apprécie les propos clairs et précis de l’hydrologue Emma Haziza sur les (vastes et complexes) questions d’eau, par exemple dans cette vidéo Brut . Et bien sûr qu’il y a un lien avec l’alimentation !
Je ne peux plus manger de patates douces : j’en ai trop mangé lors des épisodes de pousses dentaires de ma fille (on alternait patates douces et betteraves pour limiter l’acidité qui lui brûlait les fesses).
Ma fille aujourd’hui ado de 13 ans n’aime plus les lentilles ; elle a mangé du fromage petite, puis, elle a détesté (et déteste toujours froid et cru) depuis ??? Par contre, socialement, le fromage fondu passe : à elle les pizza, gratins et même raclette comme les copains.
En ce qui la concerne actuellement, elle a une vie très active et j’aimerais bien avoir par son club de rugby des conseils diététiques pour éviter les carences et notamment les « pique-niques équilibrés » comme demandé dans les convocations.
J'adore les endives cuites (contrairementaux autres membres du foyer), j'ai le souvenir d'endives braisées préparées par mon père..mais avant l'adolescence je détestais cela : par exemple, je prenais jambon et béchamel dans les gratins et laissais le reste. Aujourd'hui je pourrais presque faire l'inverse. Personnellement j'ai aussi remarqué que certaines aversions sont liées à la digestion : un truc qui passe mal, comme la pâte feuilletée pour moi, me dégoûte ! Je mets des heures voir plus à digérer et voir des gens en manger peut me mettre mal à l'aise ...même si j'avoue que les pains au chocolat de notre boulangerie ont l'air incroyables 🙂.