J’ai bien conscience que je ne suis pas dans les parfaites bonnes pratiques de la newsletter : sujet difficile, texte long, peu de rubriques…. comme si je voulais que vous vous désabonniez illico ! Un peu d’indulgence, le numéro 0 est là pour me lancer, me tester et m’améliorer !
Il y a quelques jours, j’ai assisté aux Rencontres annuelles du GROS (Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids), association dont je fais partie depuis le début de ma vie de diététicienne. Le thème cette année était LE CORPS. Corps bien souvent critiqué, mal-aimé, voire détesté, maltraité, nié, oublié.
Comment vivre un peu plus en harmonie avec son corps, se réconcilier avec lui, le mettre en mouvement avec plaisir, le regarder avec moins de sévérité et aussi, pourquoi pas, moins le regarder et davantage le ressentir ?
Se reconnecter doucement à son corps
Dans un monde grossophobe, obsédé par la minceur, l’insatisfaction corporelle est la norme malheureusement. Il encore moins évident de vivre en paix avec un corps gros ou différent des standards. Les personnes grosses, montrées du doigt, critiquées, culpabilisées, stigmatisées, peuvent décider d’oublier ce corps source de trop de désagréments physiques et psychologiques. De plus, quand on est encombrée par un corps gros ou mal-aimé, on n'a pas forcément envie de bouger ou on ne le fait que douloureusement. C’est alors une démarche en douceur, très progressive d’apprendre à réhabiter ce corps, le réveiller, se reconnecter à lui. Cela peut passer par l’attention à la respiration, par des mouvements ou des touchers très doux, parfois par l’intermédiaire d’une balle ou d’un foulard si le toucher est difficile. La reconnexion aux sensations alimentaires peut aussi être une étape. Se réapproprier son corps de façon sensorielle et personnelle.
Remettre son corps en mouvement
On a parlé activité physique, mouvement (comme dans mon expression SAM (Sommeil - Alimentation - Mouvement) : il s’agit de bouger et pas forcément faire du sport. Trouver, retrouver une activité de mouvement qu'on peut pratiquer avec plaisir. Ainsi, deux intervenantes ont partagé leur expérience de la danse libre et de tout ce que cela leur a apporté, psychiquement et pas seulement physiquement. Tout ce qui passe par le mouvement mieux que par la parole. La danse, c'est d’ailleurs une façon de bouger que j'évoque assez souvent avec des patientes, pas pour la dépense mais comme un moyen de décompresser, de se détendre. Bouger via une activité qu’on aime qui nous fait du bien, et sans être dans le « tout ou rien » qui peut exister pour le sport comme pour la relation à la nourriture… On a évoqué aussi la nécessité de vêtements confortables, de soins corporels bénéfiques, …
Violences traumatiques et désordres alimentaires
Je parlais plus haut de la volonté de se couper d’un corps mal-aimé car jugé trop gros. Dans d’autres cas (et parfois chez la même personne), il a pu être indispensable, à un moment de la vie, de se couper totalement de son corps d’alors, par un mécanisme de survie. On a abordé le sujet sensible des traumatismes et violences. En effet, une des raisons majeures qui peut produire une déconnexion complète du corps est d’avoir vécu une situation traumatique, des violences sexuelles notamment.
Lydie Thiery, psychologue Présidente de l’ENDAT, a décrit comment la dissociation traumatique avait des conséquences sur la conscience du corps. En cas de situation traumatique, une paralysie psychique s’opère et seule une mémoire sensorielle va être encodée. Il n’y a donc pas de mémoire factuelle, mentale de l’événement (c’est pour cela que celui-ci peut rester parfois enfoui pendant des décennies). La mémoire sensorielle en revanche peut s’activer de temps en temps à travers le corps et crée une souffrance terrible. Ce qui conduit à se déconnecter de ce corps, source de souffrance, à ne plus vouloir le ressentir, l’oublier ou encore le faire souffrir volontairement. Cela peut amener par exemple à des conduites addictives ou une hyperphagie alimentaire anesthésiante. Une recherche a démontré et mesuré l’impact des violences sexuelles sur la survenue de troubles alimentaires, qu’il s’agisse d’ailleurs d’hyperphagie ou anorexie.
Des difficultés alimentaires distinctes
Il y a deux situations clairement à séparer :
Tant que le traumatisme n’a pas été « traité », le travail sur les sensations alimentaires ne peut produire son effet et sera vain car se reconnecter au corps est trop douloureux. C’est alors à la personne de décider si elle veut traiter la mémoire traumatique par un travail thérapeutique préalable, qui peut être difficile à entreprendre bien sûr.
On doit vraiment faire la différence entre la personne qui a des envies de manger émotionnelles régulatrices (liées à des périodes de restriction alimentaire ou à une difficulté à accueillir ses émotions) et la personne qui ne peut supporter les réminiscences corporelles d’un événement traumatique et qui recherche une anesthésie physique et mentale en mangeant énormément.
Des patientes aux parcours très divers après avoir subi un viol
J’ai accompagné un certain nombre de patientes ayant subi des violences sexuelles enfant, adolescente ou jeune adulte. A des stades très divers de leur parcours. Je me souviens par exemple d’une patiente qui avait une alimentation émotionnelle qui la faisait grossir, avait tenté en vain des régimes avant de venir me voir. On avait travaillé sur la faim, essayé de détendre la relation à la nourriture. Le besoin de compensation émotionnelle demeurait fréquent. Et, surtout, une fois une relation de confiance installée, elle m’avait appris un jour qu’elle avait subi un viol et qu’elle comprenait qu’elle était pour l’instant incapable de renoncer à la protection que representait pour elle son corps gros. Dans cette situation, il est préférable de renoncer temporairement à l’envie de mincir car l’ambivalence envie de mincir/peur de mincir est trop importante. On avait convenu d’une pause.
Parfois le traumatisme est tellement enfoui que le travail alimentaire semble fonctionner. Je me souviens d’une autre patiente que j’ai accompagnée il y a longtemps. Elle avait enchainé les régimes suite à l’obsession de la minceur de ses parents et avait ainsi beaucoup grossi. En travaillant sur ses sensations et sur la paix avec les aliments, en se mettant avec plaisir au sport, elle avait changé significativement de silhouette. C’est alors qu’une situation a priori anodine (un compliment) a ramené à sa conscience de façon très brutale un événement totalement oublié, un viol subi dans son enfance. La protection inconsciente que représentait le poids était partie et le traumatisme ressortait. Elle n’avait jamais fait de travail thérapeutique et pensait avoir uniquement un problème avec la nourriture. Je l’ai aidée, probablement maladroitement, à accueillir ce bouleversement. On arrêté de travailler ensemble quelque temps après et je ne sais ce qu’elle a pu “faire” de ce retour de mémoire.
Plus récemment, une femme est venue me consulter alors qu’elle avait mené à son terme tout un travail thérapeutique suite au retour d’un événement traumatique. Mais les compensations alimentaires persistaient alors même qu’elle pensait aller bien. Dans un tel cas, il est possible que l’anesthésiant alimentaire ait été nécessaire à un moment de la vie et qu’il se soit transformé en réflexe automatique. C’est en le conscientisant et en ayant confiance dans ses ressources émotionnelles actuelles qu’on peut aller vers une évolution de ce comportement.
Bien sûr, chaque personne, chaque parcours est unique. Mais les désordres alimentaires extrêmes, qu’il s’agisse d’anorexie ou d’hyperphagie, peuvent assez souvent avoir un lien avec des violences traumatisantes. Quelles que soient les causes, un corps différent est donc le plus souvent synonyme de souffrances. Alors, efforçons-nous de ne pas le juger, le critiquer, le stigmatiser. Mais plutôt regarder la personne avec empathie. Si vous-même êtes concernée par un surpoids aux causes complexes, ne vous mettez surtout pas au régime mais essayez, au moment qui sera opportun, de trouver le courage et la disponibilité de mener un travail de fond.
Quelques coups de coeur
J’ai écouté
A Voix nue - Emmanuelle Devos
Les parcours de vie sont une des choses qui me passionnent le plus et je me régale souvent à écouter l’émission de France Culture A Voix Nue qui prend le temps de faire témoigner une personnalité dans la longueur (5x30 mn). J’ai ainsi adoré la série d’entretiens avec l’actrice Emmanuelle Devos, pleine de spontanéité, de sensibilité et de sincérité.
Girls in Food - Christine Ferber
Quel bonheur que cet entretien au long cours avec une précurseuse de l’exigence en matière de confitures, dont elle a toujours gardé le cap avec détermination et passion.
Sur le Grill d’Ecotable - Timothée Parrique
L’économiste Timothée Parrique spécialisé dans la décroissnce est invité de ce podcast que j’apprécie et il est limpide et passionnant
J’ai savouré
Le café Pop-up du restaurant Jeanne-Aimée
Le restaurant Jeanne-Aimée est une récente adresse du 9e arrondissement et propose une cuisine délicate avec notamment les légumes de l’épicerie Humphris. Depuis quelques semaines, tandis que l’équipe en cuisine prépare sa mise en place, un café éphémère, occupe l’avant du restaurant dès 8h du matin, avec un barista expérimenté qui sélectionne d’excellents cafés et, si l’on souhaite manger, quelques gourmandises boulangères ou un délicieux granola; Je m’y suis plusieurs fois posée au calme avec bonheur. Il devrait durer encore quelques semaines.
La newsletter Le Fil d’Ariane est diffusée une fois par mois et accueille volontiers vos commentaires respecteux.
Vivre en harmonie avec son corps...
Oh oui, le "poids" des mots... Après une perte de poids, j'ai "reçu" un jour un "tu es bien comme ça".
Je l'ai bien sûr pris, à tort ou à raison, c'était mon ressenti, comme un "tu es mieux qu'avant". Cet article m'inspire. Merci.
Bonjour Ariane, je découvre ta/votre lettre. De nombreuses réflexions ont résonné en moi et ont fait remonter des émotions enfouies. J’ai beaucoup aimé ce que tu as écris : « détendre la relation à la nourriture ». Merci