J’ai toujours été gourmande, j’en suis sûre et j’en ai déjà parlé ici. Je me présente d’ailleurs très fréquemment avec l’oxymore « diététicienne gourmande ». Je pense que j’ai toujours été féministe aussi, plus ou moins consciemment, et avec une évolution de ce que ce terme recouvrait pour moi.
Récemment, j’ai décidé de modifier ma signature professionnelle, pour mieux définir qui je suis. Je suis « diététicienne féministe et gourmande ». Il est clair que se déclarer féministe est davantage “tendance” qu’il y a quelques années. Ceci-dit, ce terme est souvent mal compris, et beaucoup, y compris de nombreuses femmes, déclarent “je suis féministe mais….” ou “je suis féministe mais pas extrême” (avec une vision parfois étrange de ce que serait l’extrémisme*). Il y a des simplifications, des caricatures mais aussi de multiples nuances de féminismes qui cohabitent. Ceci-dit, il me semble que toutes les femmes devraient être féministes ! Je vais évoquer ma vision et comment elle a évolué.
Féministe dès l’enfance
Je mentionnais plus haut que j’ai probablement toujours été féministe. Pendant longtemps, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Pourtant, aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été pour des droits totalement égaux pour les femmes et les hommes (et les personnes qui se jugent autres, dont je n’avais aucune conscience enfant).
J’avais un grand frère et il m’aurait semblé incongru que nous n’ayons pas les mêmes droits au sein de la famille, dans nos jeux, nos sorties ou nos études. Cela ne semblait pas poser de problème. Question de génération, de milieu ou de tempérament de mes parents ? Ma mère était féministe à sa façon. Certes, elle avait arrêté de travailler pour élever ses enfants, certes, j’ai eu des poupées et mon frère des voitures. Mais c’est elle qui m’avait répété la phrase de Françoise Giroud : « Les femmes seront les égales des hommes quand on nommera à un poste important une femme incompétente ». Elle m’avait aussi raconté qu’elle avait été parmi les premières à prendre la pilule après ma naissance (un an après ma naissance puisque la pilule a été autorisée fin 1967 via la loi Neuwirth).
Je me souviens plus tard de choses qui m’ont marquée face à cette exigence d’égalité :
à mon entrée dans une grande école de commerce, j’avais capté une rumeur qui disait qu’il y avait un quota maximum de filles acceptées à l’entrée : certaines femmes diplômées arrêtant de travailler au bout de quelques années, ce n’était pas “rentable” pour l’école d’en recruter trop…
à mon entrée dans une grande entreprise (Air France) comme jeune diplômée, j’ai entendu dire (plus tard) que j’avais été un petit peu moins payée à l’entrée qu’un équivalent masculin.
dans le cabinet de conseil où j’ai travaillé ensuite, j’ai participé, avec une associée motivée, à un groupe de travail suite au constat de l’évanouissement progressif de la présence des femmes au fur et à mesure de la montée dans la hiérarchie. Sans grand succès…
Si être féministe c’est vouloir l’égalité et les mêmes droits en tous domaines pour les femmes et les hommes, évidemment je suis féministe ! Quand je parle de droits, ce n’est pas seulement aux droits légaux et thoriques que je pense (même s’ils sont un socle fondamental) mais à des droits REELS, permettant une vie égalitaire.
Phrase de “Gangduclito” repérée sur Instagram il y a quelques jours
J’ai la grande (et visiblement rare) chance de vivre avec un homme qui n’a aucune revendication ni aucun comportement machistes. Qui n’aurait vu aucun inconvénient à ce que je gagne davantage que lui ! Et qui est plus doué que moi pour la cuisine, le rangement, le ménage !
Féministe de plus en plus
Ma conscience a continué à évoluer ces dernières années, probablement au confluent de ma nouvelle activité professionnelle et de la diffusion plus large de la pensée féministe. Je me nourris de lectures, rencontres, podcasts, analyses de l’actualité… Une multitude de sujets sont concernés : les salaires et les opportunités professionnelles, la répartition des tâches familiales, l’argent des femmes, les relations homme-femme, la façon de s’habiller, les violences sexistes et sexuelles… Il ne s’agit pas seulement d’accès aux mêmes droits mais aussi de la vie en commun. Par exemple la possibilité de disposer équitablement et paisiblement de l’espace public. J’avais été très touchée il y a quelques années par les mots si justes de Leila Slimani après l’affaire Weinstein : les femmes ne seront ainsi vraiment égales des hommes que quand elles pourront se promener tranquillement dans la rue à toute heure. Comme je le mentionnais plus haut, je n’ai pas aucune difficulté dans ma vie de couple. Mais, comme la grande majorité des femmes, je ne me sens pas toujours tranquille quand je marche seule dans certains lieux ou à certaines heures.
Je suis très souvent en colère, atterrée, attristée, par tant d’exemples de traitements inégaux, et bien sûr, violents, de la société et des hommes envers les femmes. Bien sûr, “pas tous les hommes !”. Mais beaucoup d’hommes, comme on le voit. Il ne s’agit pas de condamner les hommes en bloc mais de prendre conscience d’un système global de domination masculine qui profite aux hommes (dans leur majorité) et autorise certains comportements envers les femmes. Comme le montrent les statistiques, la violence est exercée très majoritairement par des hommes. Et je suis terrifiée du recul des droits des femmes dans de plus en plus de pays, terrifiée par ce qu’on fait subir aux femmes dans de nombreux pays, de la haine des femmes qui se déploie sans complexe, sachant que la France n’est pas à l’abri… Alors que, comme cela est souvent rappelé, le féminisme, parfois violemment attaqué, ne tue personne…
Etre féministe, c’est vouloir :
- une véritable égalité entre les êtres en droit et en pratique (y compris entre toutes les femmes quelle que soit leur âge, condition sociale, origine, couleur de peau, religion…),
- la fin des comportements sexistes,
- la fin d’un système de domination masculine, patriarcale,
- le droit des femmes à disposer librement de leur corps, qu’il s’agisse d’habillement, de sexualité, de contraception, d’avortement, d’avoir des enfants ou pas, de s’épiler ou pas , …
C’est donc politique, juridique, sociétal, éducatif… Bref, c’est complexe et il faudra un long chemin pour changer ça. Vouloir la fin de la domination masculine, du sexisme, des violences envers les femmes, aller vers une société réellement égalitaire est un horizon lointain. Mais on peut s’efforcer d’agir dans cette direction. La première étape est déjà d’avoir conscience de ces inégalités et du fait qu’elles sont systémiques et non une somme de situations individuelles… S’informer, comprendre que c’est un système installé et maintes fois renforcé depuis des milliers d’années. Avec quand même beaucoup d’avancées progressives vers davantage d’égalité.
A ce sujet, je recommande la lecture de l’excellent livre de la journaliste Claire Alet, Matrice – Aux origines de la domination masculine.
Oui, tout le monde peut (et devrait !) être féministe !
Il n’est surtout pas question d’essentialiser les femmes, les ramener à leur unique condition de femme. Mais il ne s’agit pas non plus de nier les différences physiologiques, biologiques entre femmes et hommes. Vouloir une société égalitaire ne signifie pas que les êtres humains sont interchangeables et tous pareils. La philosophe Camille Froidevaux-Metterie explique ainsi que « les femmes ne peuvent pas faire comme si elles n’avaient pas de corps ». Elles ne peuvent pas se soustraire à l’expérience sensible qui s’y rapporte, via par exemple les règles ou une grossesse éventuelle. Mais, dans une société égalitaire, on prendrait mieux en compte les spécificités du corps féminin pour adapter les études scientifiques ou mettre davantage de moyens sur la recherche concernant des pathologies féminines comme l’endométriose… Je parle parfois d’équité plutôt que d’égalité, par exemple à propos de la taille des portions : à chacun(e) de manger selon ses besoins, son appétit et non par exemple de façon strictement égale dans un couple !
A propos de féminisme, je me souviens que j’avais répondu (il y a presque dix ans, comme le temps passe !) à une interview Fromage et féminisme de ma chère Sophie Gourion, qui a débusqué avant bien d’autres, sur son blog, les pièges tendus aux femmes. Il y a toute une série joyeuse à lire.
Féministe dans ma pratique
Depuis que j’ai changé de voie, que j’accompagne essentiellement des femmes dans ma clientèle, que je constate le mal que leur font l’obsession de la minceur, la pression du corps parfait, les stéréotypes de silhouette, les régimes pour y parvenir, les privations alimentaires, la quête globale de perfectionnisme, je me dis que, à ma place, je travaille modestement pour la cause des femmes :
en les accompagnant vers un mieux-être corporel avec un changement durable de leurs habitudes alimentaires,
en les aidant à sortir de la spirale des régimes et des obsessions alimentaires qui mobilisent tant d’énergie mentale et créent tant de mal-être,
en les amenant vers de la tranquillité en oubliant les injonctions à manger ou ne pas manger tel aliment,
en défendant la diversité corporelle, contre l’uniformisation des silhouettes,
en luttant contre la grossophobie tellement répandue (y compris encore trop souvent chez des féministes),
en ayant proposé 50 épisodes de BCBT le Podcast qui visait à aider les femmes à se sentir mieux dans leur corps,
en les aidant à renoncer à la quête du corps parfait, à se détacher des injonctions liées à la silhouette, à prendre conscience qu’elles peuvent se sentir bien sans faire une taille 36 et ainsi libérer de l’espace mental et de l’énergie pour s’occuper d’autre chose, choisir d’autres priorités. Dans mon podcast ou dans d’autres, par exemple Genre de Fille, j’ai expliqué combien les diktats et standards de minceur sont au carrefour de l’objectivation du corps de la femme et du capitalisme qui propose de lui vendre tous les moyens, méthodes, outils permettant de se conformer aux standards en lui faisant croire qu’elle peut se façonner le corps parfait,
en les aidant à optimiser, voire déléguer en partie, le temps passé aux tâches alimentaro-culinaires et alléger la charge mentale associée,
en les aidant si nécessaire à dégager du temps vraiment disponible pour elles et ce qui contribue à leur bien-être physique et mental, à penser à elles-mêmes en priorité et pas toujours aux autres même si leur éducation les a orientées vers ça,
en prenant en compte avec toute la délicatesse nécessaire la réalité des conséquences d’éventuelles violences subies ayant mené à des troubles alimentaires, fréquents pour oublier, anesthésier, rejeter le corps meurtri ou abusé (parallèlement à un accompagnement psychologique),
en luttant contre l’objectivation du corps des femmes. Comme l’explique Camille Froidevaux-Metterie, les femmes sont trop souvent réduites à leur double rôle sexuel et maternel . Leur silhouette doit donc incarner ce double rôle : mince conformément aux canons de séduction ET avec des formes symbolisant les capacités maternelles. La philosophe appelle de ses vœux une société où les femmes pourront passer d’un corps objet à un corps sujet, une société où elles pourront jouir librement de leur corps dans toutes ses dimensions, sans le carcan d’une société sexiste. Il ne s’agit pas d’oublier son corps, ce qui est impossible comme évoqué plus haut, mais de décider librement de comment on veut vivre avec son Corps à soi.
Quand j’ai mentionné à une amie que je me définissais ainsi “féministe et gourmande”, elle a exprimé une crainte : que les personnes qui veulent me consulter pensent qu’elles n’ont pas le droit de mincir.
Pas du tout ! Je respecte le choix de chacune. Comme je l’avais expliqué dans un récent billet de blog ce qui compte, c’est :
le choix libre de décider de mincir ou non / trouver son juste poids,
faire la paix avec la nourriture pour se libérer des injonctions, obsessions alimentaires, sentiment de culpabilité…
clarifier sa motivation éventuelle à mincir pour que le travail se fasse sur des bases solides et durables. D’ailleurs, la majorité de mes patientes sont lucides sur ce qu’elles veulent et ne sont pas dupes des diktats de la société. Vouloir mincir pour son confort, sa mobilité, ne signifie pas être grossophobe comme je le lis parfois : on peut respecter toutes les femmes quelle que soit leur silhouette mais expérimenter qu’on se sentira mieux physiquement et mentalement en étant un peu plus légère soi-même.
Mais je comprends sa crainte : Car il y a parfois peut-être des positions féministes ambigues ou maladroites : tandis que certaines oublient parfois les personnes grosses, d’autres, luttant contre les stéréotypes à juste titre, poussent peut-être sans nuance à s’accepter telles qu’on est et critiquent toute envie de mincir.
Etre féministe, c’est vouloir que chaque femme se sente bien dans son corps et dans sa tête, quelles que soient ses caractéristiques, et puisse disposer librement de ce corps.
Quelques lectures possibles et aussi Michelle Perrot, Titiou Lecoq et tant d’autres, et aussi écouter par exemple Un podcast à soi d’Arte Radio.
Et vous, êtes-vous un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout féministe ?
*Sont parfois jugées « extrémistes » ou « radicales » des féministes qui sont simplement lassées, impatientes, en colère que les choses n’avancent pas plus vite dans le sens d’une société égalitaire.
Pépites
A voir
Vous avez peut-être vu qu’on célébrait mi-janvier les 50 ans de la loi Veil autorisant l’avortement. A cette occasion, France 5, en collaboration avec l’INA, a diffusé un documentaire que j’ai trouvé bouleversant, Il suffit d’écouter les femmes. Il s’agit d’un ensemble de témoignages de femmes qui ont avorté de façon clandestine, principalement dans les années 60. C’est un vaste travail de recueil de l’INA qui est à l’origine de ce film qui n’en est qu’un petit aperçu : on peut retrouver tous les témoignages sur le site de l’INA. J’ai par exemple regardé en entier le témoignage de Marie-France, que j’avais trouvée très émouvante dans le documentaire. Il me parait vraiment essentiel de faire comprendre la détresse des femmes qui ne voulaient/ne pouvaient mener à terme une grossesse et et en même temps leur détermination : elles étaient prêtes à tout. On sait donc qu’interdire l’avortement ne diminue pas les avortements mais les rend clandestins. Ils sont par conséquent beaucoup plus risqués, avec de nombreux décès à la clé. De plus, cela creuse les inégalités entre les femmes qui peuvent par exemple voyager où l’avortement est permis et les autres. Il est terrible d’observer notamment le recul qui se produit aux Etats-Unis, avec en plus, par rapport aux années 60, une masse de moyens virtuels déployés pour surveiller les femmes et les poursuivre. En France, il y a un grand écart entre la loi et la réalité du terrain, avec de nombreux centres qui ferment et des opposants vindicatifs. Je suis pour la liberté de choix et contre les personnes qui veulent imposer leur morale aux autres : avoir la possibilité de pratiquer un avortement en toute sécurité n’enlève rien aux personnes qui refusent cette possibilité pour elles-mêmes…
A écouter
Je parlais du podcast InPower dans la précédente newsletter, que je n’avais quasiment jamais écouté. Et finalement, j’y ai trouvé plein d’épisodes intéressants avec des invité.e.s de toutes sortes. Par exemple la philosophe Olivia Gazalé (tristesse de voir encore une femme qui a eu de sérieux troubles alimentaires dans sa jeunesse) et j’ai apprécié quand elle dit que les personnes préfèrent les réponses aux questions.
Je suis chaque jour étonnée de la quantité incroyable de podcasts qui existent. Je crois que j’aurais grand mal à faire connaître aujourd’hui le mien, BCBT le Podcast, que j’ai animé de 2018 à 2021. J’en découvre par hasard quand des personnes que je suis sur les réseaux annoncent une interview sur l’un d’eux. J’ai ainsi découvert Un café au comptoir via Charlotte Moreau alias Balibulle et y ai aussi écouté le journaliste Arnaud Laporte ou En un battement d’ailes où j’ai écouté Corinne Morel-Darleux (dont j’ai tellement aimé les livres) puis Yannick Roudaut, co-fondateur de la maison d’édition La mer salée.
A lire
J’apprécie les livres qui pratiquent la nuance et l’accessibilité pour aborder des thèmes complexes et aider à réfléchir. C’est pour cela que j’ai eu envie de lire Les temps nouveaux, après avoir entendu Vincent Martigny, coordonnateur, et encore plus quand j’ai le brillant panel d’autrices et auteurs. Le livre aborde un large éventail de thèmes de la société pour démonter la nostalgie et l’idéalisation qu’on peut avoir des “Trente glorieuses” et pouvoir ainsi envisager l’avenir de façon lucide.
Je suis Ariane Grumbach, diététicienne féministe et gourmande vous aidant à faire la paix avec la nourriture et avec votre corps. Consultations à Paris et en visio. Pour prendre rendez-vous
Ariane,
Merci mille fois pour cet article, vos mots et vos recherches que j'imagine nombreuses. Quel travail, quelle implication!
Vous y mettez, peut-être pas forcément tout ce que le féminisme inclut ou n'inclut pas, parce que peut-on vraiment être exhaustif·ve dans ce domaine (?), mais vous faites part d'un très large panel et c'est vraiment "ouah!"
Vous êtes vraiment quelqu'un d'une très grande qualité et j'envie les personnes qui peuvent vous cotôyer.
J'aimais votre podcast, j'aime vos newsletters - c'est plus "contraignant" de lire que d'écouter mais cela en vaut vraiment la peine.
Et j'ai la même chance que vous: j'ai un homme assez déconstruit qui n'hésite pas à faire à manger et plus que sa part à la maison ;-)
Il ne fait cependant pas encore partie de la majorité, malheureusement...
Belle semaine à vous, à bientôt!
Anne-France